Lire La Belle et le fuseau, relire Coraline : Neil Gaiman du merveilleux au fantastique

Par Marie-Maude Bossiroy

Neil Gaiman est un écrivain britannique apprécié par un large public, composé à la fois de jeunes et d’adultes. Comme de grands écrivains l’ayant précédé (Lewis Carroll, notamment) Gaiman entraîne le lecteur dans des univers étranges et improbables. La fiction de Gaiman n’est certes pas réaliste, mais s’apparente-t-elle plutôt au sous-genre merveilleux ou au sous-genre fantastique? Un regard porté sur deux de ses œuvres, La Belle et le fuseau et Coraline, permettra de voir qu’il exploite aussi bien l’un que l’autre. Il serait ainsi pertinent de s’en servir au premier cycle du secondaire pour montrer aux élèves la différence entre les sous-genres fantastique et merveilleux.

 

D’abord, en lisant La Belle et le fuseau, le lecteur entre dans un univers merveilleux. Le sous-genre merveilleux est celui que l’on retrouve dans les contes de fées. Justement, La Belle et le fuseau est une réécriture du célèbre récit de La Belle au bois dormant. Gaiman s’approprie le conte traditionnel, déjà présent dans les Contes de ma mère l’Oye, proposés par Perreault en 1697. Gaiman en livre une version résolument moderne, ce qui se traduit par exemple par la présence d’une reine héroïque, qui délivre la princesse de son sommeil par un long baiser. On y retrouve même des zombies : preuve que Gaiman est bien de son temps! Les illustrations, sombres, voire lugubres, de Chris Riddell paraissent, elles aussi, modernes et matures. Bien que le merveilleux soit souvent associé aux tout-petits (plus ou moins à tort), La Belle et le fuseau n’est pas du tout un livre enfantin. Il ne faut pas s’attendre à un conte romantique et mignon.

 

Quand on lit un conte comme celui-ci, on ne se pose pas de questions sur ce qui est crédible et ce qui ne l’est pas. Le sous-genre merveilleux n’hésite pas entre le réel et l’irréel. Il adopte complètement le second. Ainsi, les mentions de sorcières et de maléfices ne causent pas d’étonnement. Le lecteur  ainsi que les personnages sont plongés dans un monde où tout est possible. On peut lire des passages incroyables qu’on accepte sans même sourciller : « C’est une sorcière des forêts

[…]. Elle a maudit l’enfant à sa naissance, en prédisant que le jour de ses dix-huit ans la petite se piquerait le doigt et dormirait à jamais » (p. 16.)  La magie opère, assez naturellement.

coraline

L’expérience vécue lors de la lecture d’un récit fantastique est différente. C’est bien ce qu’on peut constater en (re)lisant un grand succès de Gaiman : Coraline. Le monde que l’on rencontre en ouvrant ce roman apparaît au départ familier et banal. Les premières pages présentent en effet une petite fille qui habite une vieille maison de campagne. Elle vit un quotidien pareil à celui des autres enfants : elle explore le terrain derrière chez elle, elle regarde la télé, elle achète des habits neufs pour la rentrée scolaire, etc. Rien d’excitant. Tout ce qu’elle vit est plausible, jusqu’à ce que ça bascule.  Coraline se retrouve, sans avertissements, dans un monde parallèle où il se passe des choses anormales, de la même manière qu’Alice se retrouve tout à coup dans un « pays des merveilles ». Coraline, elle, est confrontée à une existence similaire à la sienne, mais déformée. Dans son « autre » vie, ses parents ont des boutons à la place des yeux, ce qui est plutôt bizarre.  Par contre, ils sont attentifs à elle et ils font bien la cuisine, ce que la petite apprécie beaucoup, du moins au départ. Au cours de son aventure, l’enfant se pose de nombreuses questions : « Coraline se demandait ce qu’avait voulu dire le chat. Elle se demandait aussi si les chats savaient parler, là-bas, chez elle, et s’ils préféraient s’abstenir. Ou bien s’ils étaient seulement capables ici. Et d’ailleurs, c’était où ici ? » (p. 40) Comme cet extrait le montre, le sous-genre fantastique, contrairement au merveilleux, est propice aux doutes et aux incertitudes. Non seulement le personnage principal est déconcerté, mais le lecteur aussi. Où est Coraline? Rêve-t-elle? Est-elle en train d’imaginer tout cela? Ce sont des questionnements qui viennent en tête du lecteur.

 

Du reste, les deux œuvres ont en commun de faire pénétrer le lecteur dans des univers inquiétants. Les descriptions glauques sont présentes autant dans l’album que dans le roman. Ainsi, dans La Belle et le fuseau, Gaiman parle d’une carcasse qui « grouill[e] de mouches bleues et d’asticots »(p. 33) et de « morceaux de cadavres gelés » (p.33). Il peut s’agir d’une piste amusante à explorer en classe, par exemple dans le cadre d’une activité d’écriture littéraire. La contrainte d’écriture pourrait être d’inclure des descriptions lugubres ou dégoûtantes.

 

On peut finalement faire des rapprochements avec le film Maléfique (film de Robert Stromberg, 2014) qui est aussi une interprétation contemporaine du conte La Belle au bois dormant. De plus, des liens sont évidents avec le roman  Les aventures d’Alice au pays des merveilles (Lewis Carroll, 1865), qui marque l’émergence du sous-genre fantastique en littérature pour la jeunesse.

 

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