Par Julien Leclerc


Conscience humaine, sentience animale

«Déclarer que les animaux sont conscients, c’est reconnaître qu’ils peuvent ressentir – on dit d’ailleurs aussi qu’ils sont «sentients». La conscience animale est donc la capacité à ressentir du plaisir, de la douleur et des émotions.» (Gibert, 2015)

Ceci étant dit, des questionnements et des discussions sont soulevés. Devrions-nous cesser d’utiliser les animaux pour nous nourrir, nous accoutrer, nous divertir ? Devrions-nous devenir végan ? Est-ce vrai que ce mode de vie pourrait améliorer le sort de notre planète ? Les animaux peuvent-ils souffrir autant que les êtres humains ? D’ailleurs, c’est quoi être végan ? Toutes ces questions peuvent être abordées en classe, peu importe la culture, la religion, les croyances. Je crois même qu’il faut les aborder, pour éveiller la curiosité et la prise de conscience de nos jeunes.

Ne vous inquiétez pas. Le but de cet article n’est pas de faire de vous ou de vos élèves des herbivores philosophes hipsters membres de Greenpeace (comparaison déjà entendue…), mais bien des citoyens informés, conscients et ouverts aux changements d’habitudes. C’est donc à l’aide d’œuvres de littérature jeunesse que je vous propose d’explorer ce sujet qui me touche particulièrement : vivre en respectant les animaux.

Ruby Roth : autrice engagée, leader du mouvement végan

Lorsqu’on laisse nos élèves discuter, échanger, critiquer, questionner, prendre parole en public, on peut grandement apprendre et évoluer de leurs interactions. C’est exactement ce qui a enflammé la créativité de l’Américaine Ruby Roth, enseignante d’art aux enfants d’âge primaire. La fascination de ces derniers à l’égard de ses habitudes alimentaires l’a inspirée à se lancer dans la création d’un album jeunesse portant le titre Ne nous mangez pas ! – Vivre en respectant les animaux en 2009. Cet album documentaire offre l’information de façon très dichotomique, d’un côté on nous présente l’animal dans son habitat naturel et son confort, et de l’autre, l’animal-objet cloîtrer dans son environnement restreint et cruel. Cette façon de présenter les deux contenus en parallèle crée rapidement chez le lecteur une empathie envers l’animal. On y présente des animaux d’élevage de manière à conscientiser le lecteur des horreurs liées à cette industrie alimentaire. Comme l’a déjà si bien dit Sir Paul McCartney :

« Si les abattoirs avaient des vitres, on serait tous végétariens ».


© Crédit photo: Marie-Ève Fraser (SPCA)

Aucun animal n’est épargné : les poules, les dindons, les cailles, les canards, les oies, les cochons, les vaches, les animaux aquatiques. Ce livre documentaire est un incontournable pour alimenter des discussions éthiques autour de la souffrance animale.

Quelques années plus tard, Roth publie un second album documentaire Vegan is love : Avoir du coeur et agir. Dans celui-ci, l’auteure traverse les frontières des abattoirs et de l’élevage industriel pour transporter le lecteur dans la philosophie éthique derrière le mouvement végan, car ce mouvement va au-delà des habitudes alimentaires. En effet, la souffrance animale n’est pas vécue seulement dans l’industrie alimentaire, mais aussi dans le monde de la mode, du divertissement et par la destruction d’écosystème. On aborde dans cet album la maltraitance animale de façon à confronter le lecteur à son nombrilisme égocentrique : porter de la fourrure pour avoir l’air distingué sans se soucier du barbarisme derrière cet objet d’apparence, se laver les cheveux avec des produits qui auront d’abord été testés maintes fois et qui auront certainement irrités la peau de leurs cobayes poilus, rigoler dans un zoo devant des girafes emprisonnées entre quatre murs, être émerveillé devant un cétacé prisonnier dans un bassin ridicule, observer des éléphants être esclaves d’un fouet faire de l’équilibrisme sur un ballon, miser sur des chevaux maltraiter qui sont terrifiés à l’idée d’entamer leur course… J’arrête ici, vous lirez le reste du contenu. Vous serez touché, blessé, enragé même. Toutefois, gardez en tête que ce n’est pas une œuvre de fiction, mais bien un documentaire relatant des informations véridiques.

Pour répondre aux questions

Je vous propose ici le livre documentaire idéal pour les élèves curieux qui désirent approfondir leurs connaissances. Les Éditions du Ricochet proposent la collection POCQQ afin de permettre à la jeunesse «s’intéresser à des sujets d’actualité avec la distance qui permet à chacun de se faire une opinion». Dans cette collection, on retrouve le très pertinent titre Pourquoi ? Les Végans. Vocabulaire riche et précis, questions pertinentes, réflexions intéressantes, ce live regroupe tous les éléments parfaits d’un documentaire accessible pour nos élèves du 3e cycle. En explore de façon très précise tous les questionnements que l’on peut avoir sur le sujet, ce qui fait de ce bouquin une ressource en or autant pour les enfants que les adultes. Voici quelques exemples de questions et de sujets qui sont abordés :

  • Pourquoi devient-on végan ?
  • Devenir végan n’est pas facile
  • Pourquoi les végans nous agacent ?
  • L’éthique animale
  • Un régime écolo
  • Des carences à compenser
  • À chacun sa méthode

Ma section favorite se trouve à la toute fin lorsqu’on répond à la question «Que serait un monde végan ?». On passe ainsi au travers de questions qui peuvent paraître farfelues, mais qui certainement viendront à l’esprit de tous : est-ce que ça serait bon pour l’environnement ? Que ferait-on des prairies à pâturer ? Que deviendraient vaches et cochons ? Pourrait-on garder nos animaux domestiques ? Que cuisinerait-on ? Est-ce que ça serait bon pour la santé ? Comment nourrir nos chiens et nos chats ? Mangerait-on de la viande de synthèse ? Que deviendraient les éleveurs et les pêcheurs ? Les lions deviendraient-ils végans ? Pourrait-on tuer les moustiques ?

Pour le plaisir de lire, mais aussi pour le besoin de réfléchir

Pennac disait : «Quand un être cher nous donne un livre à lire, c’est lui que nous cherchons d’abord dans les lignes, ses goûts, les raisons qui l’ont poussé à nous flanquer ce bouquin dans les mains, les signes d’une fraternité.» Je crois qu’entre enseignants, nous devrions partager nos découvertes et être impérativement atteints de bibliophagie : la dévoration excessive de livres par la lecture. C’est exactement ce qu’a fait ma collègue Geneviève l’an dernier en me présentant le roman jeunesse 6-11 ans, lauréat 2019 au prix Des Libraires, intitulé Jefferson.

Plongé au cœur d’un univers réaliste et fictif à la fois, le lecteur découvrira dès les premières pages un personnage ô combien attachant, le petit Jefferson ; un hérisson bienséant qui s’apprête à être faussement accusé d’un meurtre sanglant au beau milieu d’un salon de coiffure. Avec une trame narrative aux allures policières, on est témoin d’une fable éthique sur le droit et le respect envers les animaux. Jefferson et son acolyte et grand ami, Gilbert, le cochon, se pose la question suivante : comment l’humain peut-il être insensible à la cruauté faite envers les animaux en abattoirs ?

L’auteur arrive parfaitement à transposer la notion de «sentience» animale. Comme on s’attache rapidement à cette communauté de mammifères, on devient grandement empathique envers eux et on comprend mieux le dilemme moral entourant le spécisme. L’être humain est-il supérieur à l’animal ? Je ne vous cacherai que des extraits comme les suivants viennent confronter nos habitudes de consommation :

« Tu vois ça, t’as envie de hurler. Elles savent qu’elles vont mourir ces bêtes, et elles peuvent pas se défendre. Elles ont aucun chance. Juste souffrir et mourir. Moi j’étais recroquevillé dans mon coin sous le toit et j’osais plus bouger […] Je peux pas tout te raconter, c’est pas racontable : des décharges électriques pour les faire avancer, des coups de bâtons sur les reins, derrière la tête, sur le groin, les cochons qui titubent, qui hurlent de douleur, et qui encaissent sans pouvoir se défendre. C’est injuste. C’est… dégueulasse.»

Je me souviens d’ailleurs du passage qui avait chamboulé ma collègue et qui soulève réellement une réflexion profonde sur l’avidité et la cupidité humaine. Le voici :

« C’est dingue ça, quand même, grognait-il, et sa voix parvenait assourdie à Jefferson, ils peuvent manger tout ce qu’ils veulent: des spaghettis au basilic, du gratin dauphinois, des pizzas quatre saisons, des tartes aux framboises, des omelettes aux pommes de terre, des gâteaux à la noix, des soupes de lentilles corail avec du lait de coco, des crêpes à la confiture, des pommes, des poires, des abricots, des poêlées de champignons, des salades de tomates, des croissants, des tagliatelles au pesto, des crèmes à la vanille, des fraises, des melons, du riz, de la purée, des petits pois, du velouté de potiron, du chocolat aux noisettes… et ça leur suffit pas! Ils trouvent que c’est pas assez, alors ils tuent les animaux pour les bouffer! Je comprends pas… »

Et bien Gilbert, moi non plus je ne comprends pas… et vous ?

  
© Crédit photos: Marie-Ève Fraser – Marche pour la fermture des abattoirs. 2018

Autres suggestions

Pour conclure, voici quelques autres propositions littéraires pour vous, vos élèves, vos enfants, vos proches…

Pour vous, enseignants adultes, je vous suggère l’essai rédigé par Martin Gibert intitulé Voir son steak comme un animal mort : véganisme et psychologie morale. La lecture de ce livre pourrait vous aider à approfondir vos connaissances personnelles sur le sujet.

Pour vos petits, voici quelques titres à ajouter à votre collection :

  • Libérez-nous de Patrick George (Éditions Pastel : L’école des loisirs) : album sans texte, accessible pour les plus petits. On offre au lecteur une double-page avec deux illustrations mises en parallèle avec un acétate central où on retrouve un animal. Le lecteur est amené à «libérer» l’animal d’une situation de cruauté en le déplaçant dans son habitat naturel.
  • Comme toi de Jean-Baptiste Del Amo et Pauline Martin (Éditions Gallimard Jeunesse) : album mettant de l’avant les ressemblances frappantes entre les sentiments ressentis par les humaines et ceux que ressentent les animaux. Très touchant !
  • Les enfants font d’épouvantables animaux de compagnie de Peter Brown (Éditions Album Circonflexe) : histoire rigolote qui renverse la situation de pouvoir entre humains et animaux domestiques.
  • L’ami du petit tyrannosaure de Florence Seyvos et Anaïs Vaugelade* (Éditions L’école des loisirs) : Histoire d’un tyrannosaure qui n’avait plus d’amis, car il les avait tous mangés. Il était bien triste et se croyait tout seul. Mais quelqu’un s’approcha, quelqu’un qui savait comment faire pour ne pas être mangé. Un album sur l’amitié et la solidarité, mais aussi sur les alternatives alimentaires à la zoophagie.

Psst! –> Nouveauté littéraire québécoise qui débarque sur les tablettes de vos librairies indépendantes favorites: CSI Ruelle (Tome 1) – Mystère au jardin communautaire! On retrouve dans cet excellent roman d’Audrée Archambault et illustré par CAB, un trio de jeunes heroïnes écologiques ayant fait de leur ruelle, leur terrain de jeu…et d’enquête! Idéal pour vos jeunes lecteurs! Le tome 2 est prévu pour l’automne 2020! Il est a noté que l’autrice est elle-même végane et que sa dévotion pour l’environnement, le zéro déchet et pour les droits des animaux est remarquable. Elle agit aussi à titre de créatrice de contenu, gère les réseaux sociaux de la SPCA de Montréal et écrit des articles de blogue entre autres! On retrouve d’ailleurs Tommy dans ce dernier roman (p.196), le célèbre coq au plumage brasillant que vous avez pu apercevoir lors d’un segment de l’émission La Semaine des 4 Julie à V (vous n’avez qu’à cliquer). N’hésitez pas non plus à vous procurez sa série Sarah-Lou, détective (très) privée qui compte déjà trois tomes magnifiquement ficellés!

 
© Crédit photo: Marie-Ève Fraser (SPCA) – Elise Desaulniers (directrice générale de la SPCA de Montréal) et Tommy (coq domestiqué).
© Crédit photo: Marie-Ève Fraser (SPCA) – Tommy.

* Retrouvez l’entrevue avec Anaïs Vaugelade dans un article de Louisanne Lethiecq par ici !
* Les extraits sont diffusés avec l’accord des éditeurs.


Pour vous procurer les livres dont il est fait mention dans l’article, c’est par ici…