Par Benita Kanozayire et Lucie Béchard


On se souviendra longtemps du début de l’année 2020, n’est-ce pas? Dire que le présent contexte est particulier est un euphémisme. Isolement volontaire, confinement, quarantaine, congé forcé pour tous, télétravail, interdiction de rassemblement ; nous devons tous faire un effort considérable pour se protéger et protéger les autres #onseprotège. Cela entraîne nécessairement une nouvelle façon de vivre notre quotidien et de chérir un certain nombre de choses qui, jusqu’à tout récemment, était prises pour acquis. Force est d’admettre que, dans le contexte actuel, la crise du Coronavirus génère une privation à bien des égards, mais elle nous fait également réaliser que nous jouissons de plusieurs privilèges. Pour la majeure partie d’entre nous, du moins.

Un toit. Les essentiels pour se nourrir. L ‘accès à la culture et au divertissement. À la technologie, question de rester loin des yeux mais près du cœur. Du temps. Surtout, du temps.

Bien avant cette crise, des autrices québécoises nous ont invité à poser un regard sur la réalité de bien des gens qui n’ont pas nos privilèges. Dans le premier de deux articles portant sur l’appréciation de nos privilèges, on vous invite d’abord à La case 144.

Se loger, cet immense privilège 

Lorsque la mère de Lia lui offrit une boite de craies toutes neuves, elle entreprit de dessiner un long jeu de marelle qui serpentait sur les trottoirs. Pour ne plus s’égarer. Ses premières cases à peine achevées, elle projeta de faire le tour de la ville au complet. Mais qui est cet homme qui bloque son projet?

© résumé de l'éditeur

Cet homme, c’est, aux yeux de Lia, un génie, nécessairement. Il était posé sur un drôle de tapis volant, quoique pas du tout exotique: plutôt défraîchi, tout comme ses vêtements troués et sa lampe merveilleuse à l’allure déglinguée. Génie ou pas, Lia ne peut concevoir qu’on se retrouve sur son trottoir.

© Nadine Poirier et Geneviève Després, « La case 144 », D’Eux*

Déterminée à le faire quitter sa case, elle se mit à le questionner sur sa provenance, ses pouvoirs, elle va même jusqu’à lui demander d’exaucer ses vœux. Le vieillard demeure incrédule et sourd à ses demandes. La fillette est néanmoins persuadée qu’elle arrivera à faire sortir son génie, coûte que coûte. C’est donc à force de blagues hurlées à plein poumons qu’elle arrive à percer la coquille du vieillard, à illuminer son visage et chasser la grisaille de son quotidien pour un court moment. De fil en aiguille, la tenace petite Lia cherchera donc à obtenir sa fameuse boite de craie, mais, délaisse peu à peu sa mission pour ne profiter que de la présence de son nouvel ami.

© Nadine Poirier et Geneviève Després, La case 144, D’Eux*

La case 144, un lieu d’empathie

Trouver un angle aussi lumineux pour traiter de l’itinérance avec justesse et tendresse, cela reflète de l’immense talent de l’autrice, Nadine Poirier, talent dont on a pu témoigner lors de la lecture du désormais classique, Le jardinier qui cultivait les livres. Vous aurez aussi reconnu les traits vaporeux et colorés de Geneviève Després qui nous a offert Dépareillés et La ruelle, un autre de nos favoris.

© Crédit photo: Benita Kanozayire*

Dans La case 144, l’illustratrice s’est réellement surpassée, notamment grâce aux insertions en filigrane lorsqu’on nous plonge dans l’imagination foisonnante de la fillette.

La sensibilité de la jeune Lia nous a touchées droit au cœur dès la première lecture, surtout par le geste qu’elle pose à la toute fin. Si bien que nous savons dès lors que nous aurons probablement de la difficulté à en faire la lecture à voix haute devant nos élèves. Soit. Une oeuvre comme celle-ci illustre à quel point les histoires servent autant à mettre des mots sur nos émotions qu’à tisser des liens sociaux, tel qu’en témoigne le manifeste On a tous besoin d’histoires.

 

 

« Dans les albums, grâce aux illustrations qui tiennent une place aussi fondamentale que le texte, les enfants s’approprient souvent les émotions du héros (…) (Les enfants) ont, comme nous tous, cette capacité à compatir avec l’autre. Un fort sentiment d’empathie. »

(C) Marie Barguidjian,  On a tous besoin d’histoires, p. 27

Pour toutes sortes de raisons, mais principalement pour l’humanité qui en émane, cet album se doit de faire partie de votre bibliothèque. Vos élèves, vos proches, vous-mêmes, tous et toutes avons intérêt à s’imprégner de la réalité d’autrui, réalité si près de nous, celle qui attend au coin de votre rue ou à la sortie du métro. Donc lorsqu’il nous prendra l’envie de nous plaindre de rester confiné.e.s à la maison, nous irons revisiter La case 144 afin de se rappeler la chance que nous avons d’avoir un toit au-dessus de nos têtes. Et vous? Irez-vous y faire un tour?

*tous les extraits ont été publiés avec l'accord de l'éditeur

Pour se procurer le livre dont il est fait mention dans l’article: