par Julien Leclerc, Benita Kanozayire, Lucie Béchard et Alexandra Hontoy


La question est sur toutes les lèvres présentement: est-il possible d’enseigner la lecture et l’écriture en conservant la littérature jeunesse comme toile de fond tout en respectant les mesures d’hygiène sanitaire et de distanciation? Est-il envisageable de poursuivre un enseignement équilibré de la littératie avec les dispositifs que nous avons appris à maîtriser?

Posons-nous la question autrement. Comment voulons-nous que nos élèves apprennent? Quelle est notre motivation profonde? Dans une optique où nous voulons créer de vraies habitudes de lecteurs et d’auteurs chez nos élèves, pour qu’ils deviennent des auteurs et des lecteurs pour la vie, nous ne pouvons reculer sur nos valeurs pédagogiques. En ce sens, il demeure important que la littérature jeunesse garde une place de choix dans nos classes, dans notre enseignement. Bien sûr, ce ne sera pas comme avant, il faudra s’adapter. Les prochaines semaines seront une phase de transition, autant pour nous que pour nos chers élèves. 

Maintenant, soyons honnêtes: nous vivons présentement une sorte de deuil pédagogique…Nous avons d’abord passé par le choc et le déni, ne pouvant pas croire qu’il serait possible de retourner à l’école sans le contact physique avec nos élèves et avec toutes les autres mesures imposées. Se sont ensuite installées la douleur, la culpabilité, et même la colère. Après plusieurs jours, c’est avec le visage de nos élèves en tête que nous avons tenté de nous reconstruire et d’accepter la nouvelle réalité de l’école d’aujourd’hui. Pour accueillir adéquatement nos petits amours, il faudra repenser temporairement notre système d’éducation et revêtir notre cape de super-héros (qui n’est jamais bien loin), innover, se dépasser, faire preuve d’imagination pour revoir la place du livre en classe, une nécessité pour une éducation riche et de qualité

L’important, lorsqu’on enseigne avec la littérature jeunesse et qu’on laisse tomber les cahiers d’exercices, c’est d’enseigner la littératie de façon équilibrée, en variant nos dispositifs d’enseignement. Avec les différentes mesures, ces dispositifs devront être repensés, tout simplement. Ainsi, nous vous présentons le fruit de nos réflexions pour plusieurs dispositifs. Bien sûr, selon vos milieux et vos réalités, nos suggestions devront être adaptées.


Lecture à voix haute :

Probablement le plus accessible de tous les dispositifs “sans contact” ! Simple, efficace et nécessaire. Parfait pour les transitions, les fins de journée. Si on souhaite se mettre en mode écoute active, demandez aux élèves de changer de position: assis sur leur bureau, en-dessous, en variant la position de leur chaise! 

Il vous faut seulement un livre (miser sur un coup de cœur personnel ou une valeur sûre auprès des élèves) et votre voix! Vous pourriez choisir un roman, un album ou une bande-dessinée projetée au TNI. Si vous avez la chance d’avoir une version audio d’une oeuvre; lue avec émotion par un acteur, c’est génial. S’il y a une mélodie en trame de fond, c’est encore mieux. L’application OhDio de Radio-Canada en offre quelques-unes gratuitement, de même que le site de la BanQ, en plus de la ressource Elodil qui héberge des contes et des albums dans plusieurs langues; parfait pour celles et ceux qui enseignent dans des milieux pluriethniques. 

L’idée c’est de lire pour le plaisir et d’y mettre un maximum de vie dans l’histoire pour éveiller l’imagination de vos élèves. Rien de plus, rien de moins. Et ça se vit très bien en classe, mesures sanitaires ou pas. 

Lecture interactive:

La lecture interactive est-elle toujours possible? Bien sûr que oui! Elle ne vivra pas comme à l’habitude au coin rassemblement, mais elle pourra se vivre chacun assis à sa place. Il faudra alors valoriser des livres numériques et des livres grands formats. Pour les interactions, nous suggérons de jumeler les élèves en dyade tout en respectant le deux mètres. Est-ce que ce sera plus bruyant? Certainement, mais tout aussi enrichissant pour développer les quatre dimensions de la lecture. 

Voici deux albums disponibles en version numérique et leur planification associée pour une lecture interactive: 

Pour les plus jeunes lecteurs: Le grand Antonio d’Élise Gravel

Pour accéder à la planification

Pour les lecteurs plus expérimentés: Une guerre pour moi de Thomas Scotto et Barroux 

Pour accéder à la planification 

Journal du lecteur

Présenté il y a quelques jours, notre collaborateur Julien vous a expliqué brièvement ce qu’est un journal du lecteur. Il s’agit d’une sorte de journal intime, mais dans lequel on écrit nos pensées en lien avec nos lectures. C’est un peu comme si l’élève se démarrait une sorte de blogue version papier dans lequel il peut se confier par rapport à ses impressions suite à une lecture.

Deux types de journaux existent:

Le premier – Le classique journal en papier où on priorise l’utilisation du crayon à l’encre

Pour consulter les étapes de fabrication et d’utilisation, consultez la vidéo Bonjour les lecteurs: Le journal du lecteur

Pour établir son profil de lecteur, n’oubliez pas de consulter la vidéo Bonjour les lecteurs: connais-tu ton profil? 

Le deuxième – Le journal électronique

Comme nous cherchons présentement des solutions pour basculer légèrement vers les technologies, pourquoi ne pas utiliser ces dernières pour créer un journal du lecteur électronique. Chaque élève pourrait se créer un «Google doc» (ou toute autre plateforme de partage que vous utilisez) et se construire un journal numérique.

Exemple d’échange entre une élève et son enseignant

 

Présentation d’un auteur/illustrateur

Vous aviez l’habitude de présenter un auteur coup de cœur ou encore de faire découvrir l’univers d’un illustrateur? Il vous sera encore possible de le faire. Ces artisans qui nous font rire, qui nous font pleurer, qui nous font réfléchir auront toujours une place dans votre cœur et dans votre classe. 

Plusieurs versions numériques sont d’ailleurs disponibles sur leslibraires.ca ou encore sur le site de la BAnQ. Vous avez de la difficulté à vous procurer des formats numériques? Nous avons des solutions pour vous!

Pour découvrir l’univers d’un auteur, présentez plusieurs résumés de sa bibliographie. Vos lecteurs pourront tenter de découvrir les thèmes de prédilection et certains éléments de la voix de votre auteur vedette. Pour dégager certains éléments de l’univers d’un illustrateur, présentez différentes première de couverture au TNI. Vous donnerez ainsi le gout à vos élèves d’ajouter ces œuvres à leur pile à lire!

En ce temps de crise, pourquoi ne pas faire découvrir de nouveaux auteurs et illustrateurs à vos élèves! Voici quelques suggestions d’auteurs et d’illustrateurs pour lesquels des livres numériques sont disponibles.

Michaël Escoffier : Plusieurs de ses albums sont offerts gratuites via sa page Facebook. Si ce n’est pas déjà fait, visionnez la capsule Bonjour les lecteurs: Michaël Escoffier et allez lire l’entrevue Portrait gourmand confiné de Michaël Escoffier

Simon Boulerice : Vous pouvez aussi consulter l’article L’auteur du mois de novembre : Simon Boulerice

Alain M. Bergeron : Plusieurs lectures en ligne se trouvent sur sa page Facebook et sur Youtube

Elise Gravel : Elle offre aussi régulièrement des affiches et des bandes dessinées gratuitement sur sa page Facebook

François Gravel : Plusieurs articles sont disponibles sur le blogue. Les vieux livres sont dangereux, ainsi que carnet de lecture clé en main et Le champ maudit

Jacques Goldstyn : Vous en apprendrez davantage sur l’artiste en lisant l’article Un après-midi avec Jacques Goldstyn

Valérie Fontaine: En plus d’avoir une plume extraordinaire, elle crée des moments magiques avec ses heures du conte.

En présentant un auteur vedette, on permet aux élèves d’apprécier la voix et le style de celui-ci dans toutes ces subtilités. L’appréciation des œuvres en sera grandement plus étoffée, plus précise. On peut également s’inspirer de sa voix et noter ce qui nous attire dans notre carnet d’auteur pour nos futures écritures. 

 

Écriture partagée/Écriture collective

Comme le ratio de nos classes sera d’environ 10 élèves (ou 15 si votre classe est énorme), il pourrait être intéressant de pratiquer l’écriture collective. De plus, le moment se prête bien à la création de pastiches (un pastiche est une imitation du style d’un auteur ou d’un artiste qui ne vise pas le plagiat). Pourquoi ne pas terminer l’année en continuant de découvrir le style d’un auteur. 

Autres dispositifs

Plusieurs autres dispositifs sont réalisables en classe, pratiquement sans adaptation. C’est le cas de la lecture répétée, de la lecture à l’unisson et de la lecture partagée. En ce sens, l’appréciation de livres peut se faire comme à l’habitude, soit lors de la lecture interactive, une simple discussion ou lors du combat des livres. L’atelier d’écriture et l’atelier de lecture peuvent également prendre place avec quelques modifications comme l’explique si bien Martine Arpin dans cet article.

Pourquoi ne pas faire une rétrospective de toutes les œuvres lues ensemble pour choisir l’ultime gagnant de l’année 2019-20?

 

Reconstruisons ensemble le mur de l’éducation qui s’est effondré en s’appuyant sur ses fondations que nous avons pris tant d’années à solidifier. Des briques temporaires s’ajouteront, il faudra penser autrement, mais plus que jamais, nous poursuivrons de mettre en place des dispositifs signifiants pour enseigner la beauté de notre langue tout en faisant briller les artisans du 5e art. Restons fidèles à nous-mêmes, en respectant nos valeurs pédagogiques profondes. 


Pour obtenir les livres dont on fait mention dans l’article: