Par Julien Leclerc


Comme un roman – Daniel Pennac

Le quatrième droit imprescriptible du lecteur : le droit de relire.

Relire nous permet de revivre des émotions, déterrer des souvenirs enfouis. Relire nous permet de nous connecter émotionnellement à une oeuvre. Relire nous permet de faire des découvertes, de lever le voile sur de petits détails auxquels nous n’avions pas porté attention et d’en voir la beauté. Relire nous permet de rencontrer autrement une oeuvre… les mots seront peut-être les mêmes, mais le lecteur, lui, aura grandi, aura vécu, aura expérimenté.

Relire, ce n’est pas se répéter, c’est donner une preuve toujours nouvelle d’un amour infatigable. (p.63)

Laissez-moi vous faire une suggestion de lecture qui défie les barrières temporelles et qui mérite une relecture: une oeuvre majeure signée Daniel Pennac, des mots qui résonnent encore dans ma tête, des passages qui mériteraient de tapisser les murs de nos écoles. Comme un roman devrait avoir une place de choix dans votre bibliothèque, devrait être relu fréquemment et devrait trôner au sommet de votre «pile à lire» de l’été si ce titre ne vous est pas familier.

Pourquoi est-ce une lecture essentielle?

Publié d’abord en 1992 chez Gallimard, Comme un roman est un essai offrant une vision idéale du rapport que nous devrions avoir envers la lecture. Dans les lignes qui suivent, j’emprunterai à quelques reprises certaines paroles de Pennac pour vous illustrer mon amour profond pour cet hymne à la lecture qui se veut aussi une sociocritique des exigences et des recommandations en lecture de notre système d’éducation.

On y retrace d’abord le rapport aux livres et à la lecture d’un adolescent pour qui la lecture inspire la révulsion en faisant un retour en arrière dans son enfance . On nous rappelle ce rapport pratiquement «magique» entre un enfant et les histoires qu’on lui raconte.

Et même si nous n’avons rien raconté du tout, même si nous nous sommes contentés de lire à voix haute, nous étions son romancier à lui, le conteur unique, par qui, tous les soirs, il glissait dans les pyjamas du rêve avant de fondre sous les draps de la nuit. Mieux, nous étions le Livre. Souvenez-vous de cette intimité-là, si peu comparable. (p.22)

Aux plus jeunes, ceux qui ne savent pas encore lire, nous jouons le rôle «d’apéro littéraire»…notre but est d’ouvrir son appétit de lecteur. Ainsi, ces derniers auront hâte d’apprendre à lire.

Quel pédagogue nous étions, quand nous n’avions pas le souci de la pédagogie! (p.25)

Rappelez-vous, l’oeuvre de Pennac fut publiée en 1992. Il y a vingt-huit ans, on lisait ceci: « Et si ce n’est pas le procès de la télévision ou de la consommation tous azimuts, […] ce sera celui de l’école: l’apprentissage aberrant de la lecture, l’anachronisme des programmes, l’incompétence des maîtres, la vétusté des locaux, le manque de bibliothèques […] et la part infinitésimale réservée au «Livre» dans cette bourse microscopique». Vingt-huit ans…Pennac écrivait ceci il y a vingt-huit ans… Expliquez-moi alors pourquoi, encore à ce jour, la lecture est parfois enseignée de façon mécanique, que notre programme accorde une place minime à l’appréciation littéraire, que certains enseignants ne lisent pas à leurs élèves, que nos écoles tombent en ruinent, qu’on démolisse des mezzanines permettant de lire de façon paisible, car celles-ci étaient jugées non conformes aux normes de la Régie du bâtiment et qu’on accorde encore des budgets minimes pour garnir nos bibliothèques de classe?

Pennac nous rappelle aussi que ce n’est pas parce qu’un enfant apprend à lire qu’on doit cesser de lui faire la lecture à voix haute, qu’il est autonome. Nous sommes des gardiens, des passeurs. En tant que lecteur expert, nous nous devons de l’accompagner, d’apaiser la pesanteur qu’ont les mots, l’épaisseur du livre, la richesse du vocabulaire.

Nous étions son conteur, nous sommes devenu son comptable. (p.58)

Offrez-vous des lectures «gratis» à vos élèves? Ce moment d’intimité ne doit pas se perdre dans le but de «couvrir le programme» et «d’avoir des traces de leur compréhension». Il est difficile de développer ET d’entretenir l’amour de la lecture s’il faut faire de la réédition de compte systématiquement. Peu importe notre âge, demandez-vous si vous aimeriez répondre à un questionnaire après avoir lu un bouquin haletant. Demandez-vous si vous aimeriez que votre lecture-audio soit interrompue toutes les deux minutes pour qu’on vous pose une question de compréhension. Souhaitons-nous créer des lecteurs pour la vie ou bien souhaitons-nous créer des robots qui répondent la réponse souhaitée par son professeur, ou par le ministère de l’Éducation?

**Petite anecdote**

Un jour, lors d’un examen de lecture en classe, un de mes grands lecteurs lève sa main et me pose la question suivante: «Monsieur Julien? Tu t’attends à quoi comme réponse? J’ai mon opinion sur le sujet, mais je veux m’assurer d’avoir tous les points.» Vous voyez, cet enfant était conditionné à répondre machinalement à des questions sans même développer son amour pour la lecture. Il a appris à faire plaisir à ses enseignants en répondant «correctement» aux questions. À son âge, j’avais le même discours. Mon éducation à l’école autour de la lecture s’est faite de cette manière. J’ai appris à parler autour du livre. J’excellais aussi dans l’art inflationniste du commentaire (p.104)… Dans mon vocabulaire, je dirais plutôt «l’art de bullshiter une réponse qui me donnera tous mes points»! Mes notes en lecture étaient excellentes, tout comme celles de mon jeune élève. Étais-je pour autant un grand lecteur? Est-ce que je dévorais des livres par pur plaisir? Malheureusement, non. Pas à cet âge.

À retenir…

Donc, est-ce réellement ce que nous désirons comme comportement de lecteur? Ou ne voulons-nous pas discuter de lecture, ouvrir des débats, clarifier des incompréhensions, accompagner les élèves dans leurs élans de curiosité?

Et si au lieu d’exiger la lecture,  le professeur décidait soudain de partager son propre bonheur de lire? (p.89)

Pennac le dit bien, un professeur ne devrait pas inculquer un savoir. Il devrait offrir ce qu’il sait. Il ajoute aussi: «L’homme qui lit à voix haute nous élève à hauteur du livre. Il donne vraiment à lire!» (p.102)

Enfin, si vous aviez un passage à retenir, c’est celui-ci:

[…] Ne rien demander en échange. Absolument rien. N’élever aucun rempart de connaissances préliminaires autour du livre. Ne poser pas la moindre question. Ne pas donner le plus petit devoir. Ne pas ajouter un seul mot à ceux des pages lues. Pas de jugement de valeur, pas d’explication de vocabulaire, pas d’analyse de texte, pas d’indication biographique… S’interdire absolument de «parler autour».

Lecture-cadeau.
Lire et attendre.

On ne force pas une curiosité, on l’éveille. Lire, lire et faire confiance aux yeux qui s’ouvrent, aux bouilles qui se réjouissent, à la question qui va naître, et qui entraînera une autre question. (p.133)

Ai-je besoin de vous en dire plus? Ajoutez ce livre à votre pile à lire cet été, vous ne serez pas déçu (ajoutez-le à votre pile à lire même si vous l’avez déjà lu)!

*Psst! Je vous invite fortement à vous procurez «l’édition anniversaire» de Comme un roman publié aux éditions D’eux. Vous pourrez en plus y retrouver les illustrations sublimes de Quentin Blake (un de mes illustrateurs coup de coeur qui a collaboré longtemps avec l’auteur Roald Dahl) ainsi qu’une préface d’Yves Nadon qui vaut absolument le détour.

** Psst no 2! Les éditions D’eux vous offre aussi gratuitement le texte de Pennac Gardiens et passeurs sur leur site web. Une lecture-cadeau que pour vous!

Pour vous procurez Comme un roman, cliquez sur ce lien: