Par Julien Leclerc


Je lis donc je suis

J’avais 16 ans.

Maman est venue me voir pour me poser LA question: «Julien… est-ce que Dominic c’est plus qu’un ami pour toi?»

À partir de ce moment, j’ai assumé la personne que j’étais. La personne que j’étais depuis toujours. Jusqu’à cet âge, je m’étais enfermé dans un placard tapissé de posters de Cher, d’affiches de Madonna, où on retrouvait aussi des T-shirts de Lady Gaga et des cotons ouatés de Céline. 

J’ai eu la chance d’être entouré d’une famille et d’ami(e)s qui me permettaient d’assumer mes goûts s’éloignant des stéréotypes masculins: en passant par un style vestimentaire excentrique et coloré, des goûts musicaux grandement axés sur la pop culture, un intérêt particulier pour la danse et l’expression corporelle… j’étais Julien, le petit garçon délicat, entouré de sa gang de filles.  

Il me manquait quelque chose pourtant. Je n’arrivais pas à me reconnaître dans les séries télévisées que je regardais, dans les cours de sexualité qu’on nous donnait, dans la littérature qu’on m’imposait (parce que peu d’enseignants m’accordaient une liberté dans mes choix littéraires). J’étais différent, et j’aurais souhaité qu’on me confirme que cette différence était belle, normale, acceptée.

C’est à l’âge adulte que j’ai découvert une culture télévisuelle et littéraire queer. Enfin! Enfin je pouvais retrouver des protagonistes vivant des réalités qui ne cadraient pas avec l’hétéronormativité: des histoires d’amour entre deux garçons, deux femmes, des personnages non binaires, de la pansexualité, de la bisexualité, de l’homoparentalité, des stéréotypes déconstruits.

C’est en plein coeur de notre module de poésie, après une lecture touchante de l’oeuvre de Jonathan Bécotte Comme un ouragan et sur une impulsion momentanée que j’ai annoncé à mes élèves que leur enseignant était homosexuel. J’étais prêt à assumer des regards interrogatifs, une série de questions, de la gêne… mais à ma grande surprise, ce fut un tonnerre d’applaudissements qui a résonné dans la salle de classe et des yeux pétillants qui ont illuminé mon coeur. Ils ont allumé l’intérieur de mon placard et m’ont grandement ouvert la porte.

J’ai ouvert la bouche, comme un plongeur en apnée qui arrive enfin à la surface de l’eau.

– Maman…Papa…je suis gai.

En prononçant ces cinq mots, j’ai senti un gros poids se soulever de mes épaules. J’ai senti un grand vent partir de mon ventre et gonfler mes poumons. Respirer, pour vrai, pour la première fois.

(Bécotte, Jonathan. Comme un ouragan. Éditions de l’Héritage. p. 110-111)

J’avais devant moi une génération d’enfants tolérants, empathiques, ouverts d’esprit et curieux. J’ai pu leur raconter mon histoire, qui n’en est pas une d’horreur étant donné que je n’ai jamais vécu d’intimidation, de rejet et que j’évoluais dans un environnement où mon homosexualité a été accueillie avec amour. Une élève est venue me voir pour me dire: «Je suis contente de savoir que t’es homosexuel monsieur Julien. Je n’ai pas de modèle dans mon entourage… merci d’avoir partagé ton histoire!»

L’oeuvre de Jonathan Bécotte est un réel bijou. Une oeuvre à avoir absolument dans votre bibliothèque personnelle ou dans votre bibliothèque de classe. Lors de la journée «ELJ», qui aura lieu de 20 mars prochain, je ferai très certainement l’éloge de la plume unique de l’auteur et du travail graphique exceptionnel autour de cette oeuvre qui a grandement marqué mon année 2020. Criant de vérité, d’authenticité, les émotions voyagent directement des pages jusqu’à notre coeur.

Notre bibliothèque de classe doit comporter des albums, des romans, des bandes dessinées, des documentaires déconstruisant les stéréotypes de la masculinité et de la féminité. Il en va de soi pour tous nos romans où des «p’tites» filles tombent en amour systématiquement avec des «p’tits» gars… On est rendu ailleurs, non? Aussi, un autre de mes constats est que l’homosexualité est trop souvent abordée du côté «masculin». Peu d’oeuvres mettent de l’avant des relations entre deux femmes… le milieu de l’édition, à vous de jouer!

Pour offrir une éducation sexuelle sur les enjeux de la diversité, n’hésitez pas à contacter le GRIS-Montréal (Groupe de Recherche et d’Intervention Sociale), un organisme communautaire à but non lucratif qui démystifie les orientations sexuelles et les identités de genres par la méthode du témoignage.

Et, n’hésitez pas à signer la pétition des membres de la Coalition ÉducSex qui s’unissent pour demander la mise en place de mesures qui garantissent le droit à une éducation à la sexualité positive, inclusive et émancipatrice aux jeunes du Québec. Je vous invite à suivre leur compte Instagram @coalition_edusex !

Pour les curieux et curieuses, voici des suggestions littéraires pour offrir à vos élèves une littérature queer ou des choix qui déconstruisent les stéréotypes:

Mes coups de coeur jeunesse du moment qui ouvrent les esprits :

  • Le dernier qui sort éteint la lumière (Simon Boulerice)
  • Souffler dans la cassette (Jonathan Bécotte)
  • Comme un ouragan (Jonathan Bécotte)
  • Pourquoi les filles ont mal au ventre? (Lucille de Pesloüan)
  • Sexe ce drôle de mot (Cory Silverberg et Fiona Smyth)
  • La princesse qui voulait devenir générale (Sophie Bienvenu)
  • Julian est une sirène (Jessica Love)
  • RuPaul : Little People, BIG DREAMS (Maria Isabel Sanchez Vegara) …en anglais seulement

À ajouter à votre liste:

  • Ils sont… (Michel Thériault)
  • Loov: mon carnet intime (Marie-Josée Cardinal)
  • Deux garçons et un secret (Andrée Poulin)
  • Anatole qui ne séchait jamais (Stéphanie Boulay)
  • Princesse Kevin (Michaël Escoffier)
  • Boris Brindamour et la robe orange (Christine Baldacchino)
  • Le fermier amoureux (Pim Lammers)
  • Mes deux papas (Juliette Parachini-Deny)
  • Tu peux (Élise Gravel)
  • Comment devenir une parfaite princesse en 5 jours (Pierrette Dubé)
  • Comment devenir un parfait chevalier en 5 jours (Pierrette Dubé)
  • Le jour où je me suis déguisé en fille (David Walliams)
  • Olivia Reine des princesses (Ian Falconer)
  • Vive la danse! (Didier Lévy)
  • Ada: la grincheuse en tutu (Élise Gravel)
  • Plus léger que l’air (Simon Boulerice)
  • Le prince et le chevalier (Daniel Haack)
  • Culottées : des femmes qui ne font que ce qu’elles veulent (Pénélope Bagieu)
  • Buffalo Belle (Olivier Douzou)
  • Rouge : L’histoire d’un crayon (Michael Hall)
  • La Princesse qui n’aimait pas les princes (Alice Brière-Haquet)
  • Je ne suis pas une fille à papa (Christophe Honore)
  • Le Fils des géants (Gaël Aymon)
  • Tango a deux papas : et pourquoi pas? (Béatrice Boutignon)

Mes auteurs du moment pour jeunes adultes/adultes :

  • Antoine Charbonneau-Demers: Good Boy / Baby Boy / Daddy
  • Samuel Larochelle: À cause des garçons / Parce que tout me ramène à toi
  • Kevin Lambert: Tu aimeras celui que tu as tué / Querelle de Roberval
  • Arnaud Catrine: Romance
  • Becky Albertalli: Love, Simon / Pourquoi pas nous?
  • Steve Gagnon: Je serai un territoire fier et tu me déposeras tes meubles: réflexions et espoirs pour l’homme du 21e siècle

Dans ma pile à lire (adultes):

  • Liminal (Jordan Tannahill)
  • J’ai peur des hommes (Vivek Shraya)
  • La balançoire de Jasmin (Ahmad Danny Ramanda)
  • Fé M Fé (Amélie Dumoulin)
  • La fille qui rêvait d’embrasser Bonnie Parker (Isabelle Gagnon)
  • Will & Will (John Green)

Pour vous procurer les coups de coeur jeunesses de Julien dont il est mention dans l’article…