Les cercles de philo chez les grands: pourquoi? comment? maintenant!

Par Benita Kanozayire, avec la collaboration de Delphine Coppé (déléguée à l’animation et au développement jeunesse chez Gallimard)

Dernièrement, Catherine vous parlait de ses cercles de philosophie avec ses jeunes de 2e année ainsi qu’une série de raisons pour lesquelles c’est si facile et pertinent pour vos périodes d’éthique. Parmi celles listées, voici mon top 3 :

parce que ça n’exige pas des heures de planification;
parce que ça fait le pont entre la littérature et la vraie vie de nos élèves;
parce que ça permet aux citoyens de demain de prendre position, d’écouter l’autre, de débattre, d’enrichir sa pensée, de développer son empathie…;

Si on veut conduire les enfants à mieux penser (pas seulement plus, mais mieux), si on accepte l’idée que l’objectif de l’éducation est de rendre les enfants capables de penser par et pour eux-mêmes, alors il importe qu’ils s’engagent personnellement dans l’acte de penser et construisent ainsi, avec le temps et la répétition, la puissance de produire eux-mêmes les résultats. Comme on apprend à marcher en marchant, on apprend à penser en pensant. Dans les deux cas, ce qui est central, c’est le mouvement*.

– Michel Sasseville, professeur titulaire de la faculté de philosophie à l’Université Laval

Lors de mon baccalauréat à l’Université Laval, j’ai eu le privilège de suivre le cours donné par M. Sasseville, responsable du programme de philosophie pour enfants. Avec lui, j’ai appris à vivre des véritables communautés de recherche philosophique (CRP) en tant qu’apprenante, qu’observatrice, qu’animatrice. Une expérience riche, intensive et immersive. Fascinante et formatrice surtout.

Plusieurs années plus tard, lors du Pédagofest 2019, j’ai suivi un atelier par Delphine Coppé qui reprenait la même démarche inspirée de Matthew Lipman (le père de la philo pour enfants). Elle est, elle aussi, convaincue que les CRP ont une influence positive sur la dynamique de groupe, sans oublier le renforcement du climat d’écoute et de confiance qui s’installe à force d’en faire. Le plus grand bonus à son adaptation: la littérature jeunesse comme catalyseur. Il n’en fallait pas plus pour enfin me lancer dans l’instauration de CRP. Voici donc bien humblement, la façon dont j’ai adapté sa méthode pour mes élèves.

Qu’est-ce qu’une CRP et pourquoi sont-elles essentielles?

Selon M. Sasseville, la communauté de recherche philosophique est une aventure éducative qui permet de mettre en pratique la délibération et le dialogue autour de sujets importants. Ces sujets sont parfois d’ordre métaphysique, éthique, logique*. En d’autres mots, la CRP offre une tribune unique aux enfants pour s’approprier cet art de la communication.

Les cercles de philo permettent de travailler l’écoute, le respect des opinions divergentes, la capacité à formuler des arguments, des contre-arguments, à reformuler sa pensée afin de la préciser. Des aptitudes non-négligeables à développer pour nos futurs citoyens, on s’entend. Tout cela s’enseigne à force de pratique, de répétition, de mouvement comme l’affirme M. Sasseville sur son blogue*.

Comment se déroulent les CRP?

Du côté de l’enseignant.e, il faut d’abord choisir un album phare, celui dont émanera une multitude de questionnements, une lecture qui puisse susciter des échanges. Il doit être assez court pour laisser un maximum d’espace pour la communication. Idéalement, il est juste assez résistant : une lecture facile à comprendre, au vocabulaire accessible et qui peut générer des opinions variées. Pour mon tout premier cercle, j’ai choisi Mon ami extraterrestre de Rocio Bonilla aux éditions Père Fouettard, car il incarne parfaitement la démarche de questionnements dans laquelle je souhaitais plonger mes élèves. Je privilégie également les œuvres qui ont une ou deux phrases par page ou double-page, afin que chaque élève puisse participer à la lecture commune, en cercle. Il pourrait même s’agir d’un album sans texte. C’est étape est cruciale et je la décris au point suivant.

1-La lecture partagée

Selon Sasseville et Lipman*, il est important que l’enfant soit engagé et actif dans la recherche philosophique. Pour ce faire, la disposition en cercle où tout le monde se voit est vraiment importante. La lecture partagée aussi est un élément central de la CRP; ça réitère la place de chaque enfant dans l’expérience et de l’impliquer dans la recherche à venir. Je l’ai vécu de deux façons (enseignante lit VS tous les élèves lisent) et la différence d’engagement est majeure à mon sens, surtout avec les grands.

3- La discussion entre les pairs et le choix des questions

Les enfants se réunissent en sous-groupe et font émerger des questions qui leur sont venues à l’esprit en cours de lecture ou à la fin de celles-ci. Toutes les questions sont bienvenues. Vous pourriez choisir un élève qui tiendrait le rôle de formateur, c’est-à-dire qui s’occupe de les noter. C’est un bon moyen de valoriser ceux qui sont un peu plus timides. On les réunit ensuite sur un tableau et on passe au vote sur celle qui guidera notre discussion.

4. Le cercle ou la recherche philosophique

Selon la démarche vécue avec M. Sasseville, 3 rôles sont possibles pour les élèves:

animateur.ice: guider la discussion, enrichir les opinions exprimées, faire des liens et clarifier le sens de celles-ci, soulever de nouvelles réflexions, etc.
émetteur.e.s : prendre part activement aux discussions, donner son opinions, apporter des exemples, des arguments, des contre-arguments, des reformulations, etc.
observateur.ice.s (placés à l’extérieur du cercle): écouter et réfléchir, prendre des notes sur les arguments ou les stratégies de communications observées afin d’offrir des rétroactions après coup, etc.

Pour les premiers cercles, je vous suggère d’incarner l’animatrice et que tous les élèves soient émetteurs, afin d’encourager la participation. Au fil du temps, vous pourriez sélectionner des élèves afin qu’ils occupent différents rôles d’un cercle à l’autre. De cette façon, les élèves ayant tendance à prendre plus de place (on les connait!) travailleront l’écoute. Ceux qui sont généralement plus passifs pourront s’exprimer dans un espace respectueux et sécuritaire, et surtout développer des stratégies de communication puisqu’ils auront observé la communauté à quelques reprises avant de s’y adonner plus activement.

Une bibliographie pour démarrer vos cercles dès demain!

Voici un tableau consignant les œuvres suggérées pour mettre en place ce dispositif dans vos classes. Bien qu’on ait ciblé les cycles pour certaines d’entre elles, nous sommes d’avis qu’elles peuvent toutes offrir un riche potentiel lors de vos discussions. Pour télécharger le document, cliquez sur l’image ci-dessous: