Par Mélina Schoenborn

Assis à son bureau, Jacques Goldstyn est entouré d’une myriade de crayons-feutres et de tubes d’aquarelles. Sous ses mains, les bandes dessinées qui paraitront dans le prochain numéro de Les Débouillards; mais ce qui attire tout de suite le regard ce sont, à ses pieds, empilées pêle-mêle, les magnifiques affiches qu’il créées pour le magazine Curium.

GolsAffiche Dans chaque numéro, le magazine lui réserve une double page intitulée Dans la tête de Goldstyn. L’auteur-illustrateur y explore un thème différent à chaque fois : la science, la culture, la beauté, l’amour. Les originaux sont impressionnants à regarder : un véritable foisonnement d’images et de mots, qui, comme un volcan, semblent tout droit sortis de l’espace mental du créateur. Golsdtyn puise dans l’immense terrain de jeu de ses souvenirs et de ses expériences, et complète avec des informations factuelles et des statistiques, le tout formant un joyeux chaos organisé.

L’exercice lui permet parfois de dénoncer certaines dérives sociales et économiques. «Il y a des affiches qui sont un peu méchantes, comme celle sur Noël, qui abordait le thème de la surconsommation. Vous saviez qu’aux États-Unis, en moyenne, à Noël, il y a 22 cadeaux sous le sapin pour un seul enfant? Au Canada, «seulement» treize…», affirme l’auteur-illustrateur de sa voix douce, mais outrée.

«Je ne suis pas payé des masses pour faire ce travail-là, mais je fais ce que je veux. C’est un véritable défouloir, confie Golsdtyn. Le jour où l’on mettra des bâtons dans les roues, qu’on me dictera ce que je dois écrire ou dessiner, je vais arrêter. Comme le photographe new-yorkais Bill Cunningham l’a dit avant moi, Money is cheap!». Pour Goldstyn, la vraie richesse, c’est la liberté.


Sensibles quêtes

GolsPortrait Les récentes œuvres de Goldstyn mettent en scène des personnages qui, un peu comme leur auteur, souhaitent être libres. Dans Azadah (La Pastèque, à paraître en août 2016), une jeune musulmane confectionne une montgolfière des plus originales pour échapper à un mode de vie contraignant. Dans Le prisonnier sans frontières (Bayard Canada, 2015), un prisonnier est libéré de sa geôle grâce aux centaines de lettres de soutien qui lui ont été envoyées de par le monde, transformées en ailes qui lui permettent de s’envoler par la fenêtre. Dans L’arbragan (La Pastèque, 2015, Prix jeunesse des Libraires du Québec) un jeune garçon qui aime grimper dans un arbre majestueux trouve le moyen de le faire «verdir» de nouveau, lorsque celui-ci perd toutes ses feuilles.

Lorsqu’on lui fait remarquer que ses personnages cherchent tous à rejoindre les hauteurs, Goldstyn arrondit les yeux. «Ah, tiens, c’est vrai!» s’exclame-t-il. «D’ailleurs, le personnage dans L’arbragan, c’est un peu moi, confie-t-il. Si le petit Jacques aimait beaucoup grimper aux arbres, la version adulte confie qu’elle se livre encore à des ascensions bucoliques de temps à autre…

«Dans L’arbragan, le petit garçon va se promener au cimetière, seul, comme j’aime le faire». Goldstyn fréquente régulièrement celui, très vaste, du Mont-Royal, et dit s’y sentir comme un Noble déambulant sur son domaine, riche en insectes, oiseaux, animaux et essences d’arbres. Il faut dire qu’avant d’embrasser la carrière d’auteur-illustrateur, Goldstyn a appris à marcher seul en forêt, avec des cartes et des boussoles, alors qu’il travaillait en Gaspésie et en Abitibi comme géologue, «J’ai découvert là des marécages, des sapinières, des clairières extraordinaires, à des kilomètres de la civilisation. C’est cet amour-là des arbres et de la forêt qu’on retrouve dans L’arbragan».

Dans Azadah, l’auteur-illustrateur dit avoir souhaité mettre en scène une enfant qui rêve de pouvoir faire des choses «normales». L’idée d’écrire et de dessiner Azadah, qui signifie Espoir, en langue afghane, a surgi suite au décès d’une photographe allemande, Anja Niedringghau, décédée en Afghanistan. L’apport de cette artiste – qui a gagné le prix Pulitzer – et celui d’autres travailleurs humanitaires qui oeuvrent dans le pays lui ont donné l’envie de raconter une histoire d’amitié entre une petite fille afghane et une photographe de passage. «Amène-moi avec toi, je veux faire du vélo, je veux faire du surf en bikini, demande la petite fille à la photographe», explique Goldstyn, en nous montrant en primeur les dessins finaux du livre qui sera publié cet été.

Dessin original de Azadah

Dessin original de Azadah

Au galop

Dessin original de L'arbragan

Dessin original de L’arbragan

Le thème de la liberté est intrinsèquement lié à la volonté artistique de l’auteur, et l’émancipation de ses personnages semble faire écho à celle de la main, qui souhaite esquisser des formes plus déliées, plus spontanées, comme en témoignent Le Petit Tabarnak (La Pastèque, 2013) et L’arbragan, au style approchant celui de Sempé.

«J’ai 58 ans, et c’est maintenant qu’il faut que je dessine. J’entends l’horloge du compte à rebours, je ressens une urgence de réaliser des projets.» Quelques lignes et un personnage attendrissant émerge. Et pour en arriver à évoquer ainsi l’essentiel, et – physionomiste – exprimer la joie ou le regret au détour d’une simple courbe, il a fallu des années de travail. «Je n’aurais pas pu dessiner de cette manière, plus jeune», affirme Goldstyn.

L’auteur-illustrateur apprécie ses projets de livre, qui lui permettent de laisser libre cours à un crayonné plus fou, plus éclaté que dans ses BD. «En fait, j’ai toujours trouvé que mes croquis étaient plus intéressants que mes dessins finaux. Dans L’arbragan, je suis comme un cheval lâché au galop. Dans le village, il n’y a pas de route, l’auto, ce n’est pas une auto, c’est tout croche! Je m’amuse totalement»! Et le personnage principal, comme son auteur, est tout investi de sa mission, le temps presse, il court ici et là pour rassembler les milliers de gants colorés qui pourront décorer son arbre sans feuilles…

 

Après la nuit, le jour

GolsDebrouille Un trait plus délié dans ses livres, donc, mais le dessin à la Belge, aux lignes rondes et parfaites, continue de plaire beaucoup aux enfants, estime Goldstyn. Hergé, Franquin… C’est en ayant en tête le travail de ces derniers qu’il a réalisé ses ébauches pour le tout premier numéro d’Hebdo-Science, en 1980. «Un ami qui travaillait pour l’Agence France-Presse m’a appelé : tu veux illustrer quelques expériences? Pendant un an, j’ai envoyé mes dessins de Calgary, où je résidais. Le jour, j’étais géologue, et la nuit, je dessinais. C’était le début d’une longue carrière d’auteur-illustrateur, et la rencontre de l’éditeur Félix Maltais, fondateur de la revue Je me petit débrouille (l’ancêtre de Les débrouillards), une collaboration qui dure depuis 35 ans.

À l’époque, l’ex-géologue n’aimait pas les bandes dessinées qui mettaient en scène des enfants. «Je trouvais ça totoche. Les enfants, ils ont des contraintes, c’est plus limité. Mais j’aimais Le Petit Nicolas, parce que c’est plus frondeur. Je me suis donc habitué à dessiner des gamins en m’inspirant de cette approche». Ses jeunes personnages voyagent, prennent l’avion quand ils veulent, s’autoanalysent.«Alors qu’ils volent vers l’Atlantique, ils se demandent : mais qu’est-ce qu’on fait là? On n’a pas de parents, pas d’école?», raconte Goldstyn en rigolant.

GolsDessine Il travaille toujours à la main. En parallèle à ses projets de livre, trois jours de la semaine sont consacrés à Bayard Canada, pour la production de BD dans Les Débrouillards. Curium, Les Explorateurs. Le style est très précis dans ce cas et se fait à l’aide d’une règle. Il ne faut pas que la couleur dépasse. Il faut compter trois jours pour la réalisation d’une planche de BD, de l’idéation au dessin final. «Les enfants pensent que la colorisation à l’ordinateur, c’est plus rapide. Mais quand il y a des textures à faire, ça prend autant de temps! J’ai essayé, et je n’ai pas aimé ça. Je préfère les crayons!», souligne Goldstyn.

Avec Félix Maltais, la confiance s’est installée depuis longtemps, estime l’auteur-illustrateur. Il peut remettre ses BD à la dernière minute, chez Bayard Canada, et parfois c’est même énervant pour le reste de l’équipe, avoue-t-il. «Mais lorsqu’on remet ses dessins trop tôt, on s’expose à plus de commentaires. Il faut dire qu’on vit dans une époque beaucoup plus politiquement correcte. Les nouvelles générations s’autocensurent plus facilement.»

GolsEbaucheAFinal

 

Sacrer, c’est sacré? 

Politiquement correcte, la société d’aujourd’hui? Avant la publication de Le Petit tabarnak, dans lequel Goldstyn explique aux enfants que les mots Auschwitz, Tchernobyl, ou Apartheid sont de biens plus «mauvais mots» que tabarnak (une petite armoire, après tout), les éditeurs l’avaient prévenu : le livre ne passerait pas dans les écoles. Or, il semblerait que plusieurs enseignants aient apprécié l’initiative, car l’auteur-illustrateur se rend à l’occasion dans les classes de 4e ou 5e année pour présenter son livre aux élèves. D’abord étonnés, ces derniers se laissent prendre au jeu, et réfléchissent à la portée des sacres, au Québec comme ailleurs.

Ce n’est pas toujours le cas dans les salons du livre auxquels Goldstyn participe. Parfois, le public adulte réagit mal. «J’ai beau expliquer, pour certains, il n’y a rien à faire : sacrer, c’est sacré, un point c’est tout», raconte l’auteur-illustrateur.

Une chose est certaine : pour Jacques Goldstyn, la liberté de penser, d’agir, et de s’exprimer, cela, c’est sacré !


Une piste d’exploitation pour votre classe…

Page de L'arbragan - © La Pastèque et Jacques Goldstyn

Page de L’arbragan – © La Pastèque et Jacques Goldstyn

  • Après la lecture de L’arbragan, demandez aux élèves de dessiner des animaux et des insectes qu’on peut retrouver dans la cour, au parc, au camping, dans la forêt, dans les arbres. Écureuil, oiseau, abeille, moufette, etc.

  • Explorez les différentes essences d’arbres. Présentez des visuels de peupliers, érables, bouleaux et demandez aux enfants de les dessiner.

 


À surveiller en août, la publication de son livre Azadah (La Pastèque).

Pour vous procurer les livres dont il est fait mention dans l’article, c’est par ici…