Par Benita Kanozayire et Lucie Béchard

Tout passionné de la littérature jeunesse qui se respecte (ou tente de joindre ces rangs) sait à quel point cette passion doit se transmettre, se faire sentir et être véhiculée afin d’être finalement ressentie à son tour chez nos élèves. Cette passion, certes, passe par l’accès aux livres, la découverte d’auteurs, l’enseignement via divers dispositifs, etc. Nous croyons qu’à cela s’ajoute nos comportements quotidiens, voire anodins vis-à-vis les livres. Parenthèse: lorsque nous recevons un nouvel album, nous aimons le tenir soigneusement dans nos bras, flatter la première de couverture, humer les pages, dire aux élèves de le manipuler avec le plus grand soin, lui accorder une valeur inestimable : « Il m’a couté tant de dollars, mais dans mon coeur, il en vaut au moins 2 millions!” Cela peut vous paraitre intense, mais, croyez-nous sur parole, les enfants finissent par nous imiter et adopter ces étranges manies avec leurs propres livres. Magique!

Dans un même ordre d’idées, nous avons fait la découverte d’un album dans lequel il est justement question de cela, la transmission de la passion. Lili Pinson et le secret des lettres se veut un hommage aux enseignants passionnés par les histoires, un conte qui donne envie de se réinventer et d’émerveiller les enfants par l’accès aux livres. Ça vous parle, n’est-ce pas?

Cette nouveauté de chez Planète rebelle, tiré de la collection Des mots plein la bouche, arrive juste à temps pour accueillir vos élèves comme il se doit en ce début d’année scolaire. De quelle façon? À l’aide du texte signé Véronique Gagnon-Pelletier qui met de l’avant la richesse des histoires et le gout de lire et écrire pour tous. L’album est illustré par Enzo; les fins observateurs parmi vous auront peut-être reconnu sa signature visuelle que dans sa dernière et poignante parution, Y’a pas de place chez nous d’Andrée Poulin qui lui, est dans un tout autre registre. Julie Robert nous en a parlé plus tôt cette année, voir le lien ici.

L’école, ce lieu inspirant et sacré

Le récit débute avec le classique “Il était une fois”, on y met en scène un village où les enfants y vivent heureux, chantent, racontent, récitent dans les rues. On y entend parfois de drôles d’histoires, d’autres effroyables, certaines rapportées, d’autres inventées. Le village est rassemblé autour d’un lieu sacré au toit rouge, un lieu affectionné de tous, l’école du village. Une école pas comme les autres, car elle accueille des enfants avides de connaissance, et ce, en tout temps, du dimanche au dimanche!

C’est probablement ici qu’on vous accrochera, chères-rs enseignantes-ts: Enzo capture parfaitement bien l’essence de l’endroit et du maitre qui y oeuvre (et habite): les enfants gravitent et gambadent, souriants et enthousiastes vers l’immense bibliothèque, èrent dans les corridors aux murs tapissés de livres, découvrent  la cuisine, le laboratoire, le boudoir, … En 2017, c’est le rêve comme endroit, n’est-ce pas? L’auteur dépeint une école qui va bien au-delà de l’établissement d’enseignement. On y décrit un lieu où les histoires sont abondantes, variées, captivantes, si bien que les enfants apprennent la lecture et l’écriture comme par magie!

[Le maitre] était intarissable: tantôt lisant à voix haute, tantôt racontant, tantôt récitant, tantôt fredonnant, tantôt chantant à plein poumons; c’était une suite ininterrompue de récits, de contes, de fables, de poèmes, de comptines et de chansons. Pour quiconque se trouvait à ses côtés, les mots, s’attachant les uns aux autres en des phrases enivrantes remplies de promesses de voyage et d’aventures, devenaient comme l’air qu’on respire. (p. 11)

L’extrait choisi illustre de façon riche, voire poétique ce à quoi aspire la plupart des enseignante-ts : faire de leur classe un lieu où la littérature jeunesse, sous toutes ses formes, nourrit le gout des lettres et des mots chez nos enfants. Il s’agit d’ailleurs de ce à quoi aspire la petite Lili Pinson qui attend impatiemment sa rentrée dans le monde des lettres et des histoires. Malheureusement, le maitre d’école tombe malade et ne peut l’introduire au secret des lettres. Un nouveau maitre, morne et aigri, fait son entrée, mais ce dernier ne sait évidemment pas comment s’y prendre pour lui transmettre ledit secret, son enseignement étant plutôt aride et traditionnel. Désespérés et déçus de cette introduction ratée pour Lili, ses camarades élaborent un plan pour l’initier comme il se doit : grâce aux livres!

Lili Pinson en réseau 

Cet album est idéal pour démarrer une année scolaire sous le signe de la lecture, et ce, de la 1ère à la 6e année. Certes, le personnage principal est une fillette de 6 ans qui débute dans le monde de la littératie, on pourrait ainsi croire qu’il est préférable de le lire au 1er ou 2e cycle. Toutefois, à notre avis, il n’est jamais trop tard pour donner la piqûre à nos élèves, surtout s’ils arrivent d’une école ou d’une classe où les livres n’avaient pas nécessairement la place qui leur revient. Si vous voulez donner le ton à votre année, cette lecture est non négligeable et pourrait parfaitement accompagner d’autres ouvrages dans le même esprit. Pensons notamment au sublime album d’Oliver Jeffers, L’enfant des livres  ou Le jardinier qui cultivait les livres, de Nadine Poirier qui nous ont été présentés par nos collaboratrices Louisianne et Julie. Cliquez sur les titres afin de relire leurs articles.

Comme vous le savez, mettre les albums en réseau avec d’autres livres sur la lecture l’écriture, les mots, les lettres, etc. permettra de travailler la dimension apprécier, puisque de nombreux liens pourront être soulevés par vos élèves.

Mis à part ceux mentionnés plus haut, nous nous devons de proposer d’abord notre coup de coeur à toutes les deux, La grande fabrique de mots d’Agnès Delestrade et Valeria Docampo. Il existe également La petite fille qui inventait des histoires écrit par Pamela Zagarensky qui parle de l’importance de l’écriture sur l’imagination. Chez les plus vieux, l’album Le grand incendie de Gilles Baum, illustré par le brillant Barroux, lui, est plus percutant puisque dans ce dernier, l’ordre est donné par un sultan de détruire tous les livres du royaume et ainsi effacer la mémoire d’un peuple. Très confrontant, très actuel! Finalement, du même auteur mais illustré cette fois-ci par notre préféré, le polyvalent Thierry Dedieu, les élèves apprécieront Le baron bleu. Celui-ci prend place en temps de guerre et le baron trouve le meilleur moyen de faire taire les canons: en larguant des livres sur les adversaires. Encore une fois, très pertinent avec des élèves du 3e cycle, sans oublier les liens possibles à faire en univers social et en éthique et culture religieuse.

Dernières suggestions

Pour en conclure avec Lili, sachez que si vous désirez en faire une lecture interactive, plusieurs mots de vocabulaire sont plutôt avancés pour une clientèle de 1ère ou 2e année. Certaines-s enseignantes-ts aiment aussi lire un album lors de leur première rencontre de parents; il serait un excellent choix afin d’afficher vos couleurs !

Finalement, voici quelques pistes d’exploitation en rafale qui s’adaptent pour les 3 cycles du primaire :

  • lister les ressemblances et les différences entre l’école au toit rouge versus son école ou sa classe. Au 3e cycle, un diagramme de Venn pourrait même être représenté en grand groupe;
  • se renseigner sur les écoles ailleurs dans le monde grâce au documentaire Sur les chemins de l’école: Écoliers du monde entier notamment;
  • explorer les genres littéraires cités dans l’album, d’après leurs connaissances et/ou en cherchant à la bibliothèque (fable, conte, comptine, chanson, poème, etc.). Une classification et une description plus avancée pourraient être intéressante à faire auprès de lecteurs plus vieux, quitte à s’exercer à rédiger de l’un de ces types d’écrit;
  • réinventer sa classe ou son école en décrivant un court texte descriptif en grand groupe, en dyade ou individuellement;
  • sélectionner les mots de vocabulaire les plus sophistiqués et chercher les définitions et/ou synonymes. Il pourrait s’agir d’une belle activité sur le champ lexical et permettre une première exploration des outils de référence à votre disposition (dictionnaire, dictionnaire en ligne, Eurêka, dictionnaire de synonymes, etc.). Avec les plus vieux, une dictée de mots en orthographe rapprochée serait intéressante, également;
  • rédiger une liste des émotions ressenties par Lili et les enfants tout au long le récit (avec un schéma en 3 ou 5 temps, selon le niveau) et tenter d’enrichir le registre de langue en trouvant des synonymes, des antonymes. Cette liste pourrait être affichée tout au long de l’année et servir de banque de mots pour les futurs situations d’écriture.

Vous avez d’autres idées? N’hésitez pas à nous les partager en commentaires! Sur ce, nous vous souhaitons de plonger dans l’univers des mots et des lettres cette année, avec le même enthousiasme et émerveillement que le maitre d’école de Lili Pinson (et le nôtre, bien évidemment!). Bonne rentrée!

Pour vous procurer les livres dont il est fait mention dans cet article :