Par Julien Leclerc, enseignant au 3e cycle à l’école Marcel-Vaillancourt (CSDL)


On a tous une histoire qui se cache derrière notre prénom. Elle peut être courte, banale, inintéressante. Ou bien, elle peut pousser un enfant à mener une enquête sans relâche dans le but de découvrir pourquoi ses parents ont choisi ce prénom qui peut refléter leur histoire, leurs espoirs…

Elle, elle s’appelle Bérénice.

«Non mais, quelle idée d’appeler sa fille BÉRÉNICE ! En veux-tu des moqueries ? «Bérénice la réglisse, Bérénice la saucisse…» Je suis tannée, tannée, TANNÉE ! C’est décidé : mes parents doivent changer mon prénom. Sinon, je fais la grève de TOUT !»

C’est une solitaire assumée. Elle a du caractère. Elle est persévérante. Elle nage à contre-courant de la société. C’est un personnage féminin fort comme on les aime…un peu à l’image des femmes qu’incarne l’autrice de cette œuvre au petit écran (Lyne «la pas fine» dans Les Invincibles, l’avocate Marie Rousseau dans Ruptures, Vicky Dupuis dans Conseils de famille). Je parle ici de Catherine Trudeau, actrice, animatrice, autrice : une artiste d’exception qui choisit chacun des mots coulant de sa plume afin de créer un rythme enivrant à son roman illustré par Cyril Doisneau publié aux Éditions de La Bagnole. Ensemble, ils ont créé une Bérénice atypique à laquelle on s’attache dès les premières pages.

©Catherine Trudeau, « Bérénice ou La fois où j’ai presque fait la grève de tout! », Éditions de La Bagnole.

Le personnage au cœur de cette œuvre en a marre de son prénom qu’elle considère «rididi» ! Elle décide donc de remettre une mise en demeure à ses parents afin de les obliger à changer son prénom. Comme nous l’explique Bérénice :

«Une mise en demeure c’est une demande faite à quelqu’un, avec des grands mots savants écrits sur du beau papier de bureau. Ça a l’air d’une invitation à un pique-nique à la campagne mais dans le fond, c’est une obligation.»

S’inspirer de Ducharme et de Trudeau pour écrire et créer…

Des idées en lecture

Je vous propose de faire une lecture feuilleton de l’œuvre de Catherine Trudeau avec vos élèves du 3e cycle. Pour moi, une lecture feuilleton est une façon d’amener les enfants à comprendre le monde qui les entoure, à développer l’empathie, à s’inspirer, à découvrir, à apprendre. Gardez en tête qu’on ne veut pas «tuer» une œuvre en posant une série de questions préprogrammées dans le but de travailler toutes les dimensions de la lecture…les enfants verront le livre comme un manuel scolaire et non comme un objet de plaisir !

Bérénice est constitué de 14 chapitres. Il peut donc très bien se lire en trois semaines en classe, soit un chapitre par jour. Si vous disposez d’un laboratoire informatique, il pourrait être intéressant de faire d’approfondir certains référents culturels qu’a parsemés Trudeau au fil de l’œuvre :

  • Faites découvrir l’univers de Robert Charlebois à vos élèves ! (p.24) Analysez certaines de ses chansons écrites par Réjean Ducharme. Prenez par exemple Mon pays, chanson iconique de Charlebois, teinté du joual de l’époque. Eh oui, l’expression «fuck le chien» y est présente : c’est l’occasion idéale d’explorer des locutions verbales québécoises populaires ou encore les sacres québécois dans un éventuel volet religion à l’aide de l’album Le petit tabarnak de Jacques Goldstyn.
  • Invitez les élèves à faire une courte recherche «défi» autour de l’air «Paaam paaam paaaaaaaammmm ! PA-PAAAAM. Boum boum boum boum». Bérénice nous donne tout de même un assez bon indice : c’est la musique du film d’un gars dont le nom rime avec «cube Rubik». Un morceau de robot à celui ou celle qui trouvera la chanson thème de L’Odyssée de l’espace ! (p.30)
  • Ayez en main le roman L’avalée des avalés de Réjean Ducharme. Présentez-leur brièvement ce roman culte du patrimoine québécois. Parlez-leur de cet auteur mystérieux qui a mis au monde la Bérénice d’origine. (p.49) C’est le moment de leur parler de la notion d’intertextualité qu’utilise certains auteurs pour créer leur œuvre. Il s’agit d’y inclure des éléments littéraires très clairs faisant référence à un texte déjà existant.

Des idées en écriture

Bérénice part en mission : la quête de l’origine de son prénom, son «inaccessible étouèle» comme le dit Trudeau en référence à la chanson de Jacques Brel. Pourquoi ne pas inviter vos élèves à faire de même ? En petit devoir, demandez-leur de questionner leurs parents et de rédiger brièvement la raison pour laquelle ils ont reçu ce nom à la naissance. La littérature réveille souvent des discussions, c’est ce que j’adore!

Mon histoire à moi? Bien simple…Mon grand frère Jérémie écoutait religieusement un manga japonais au Canal Famille intitulé Dans les Alpes avec Anette et un des personnages se nommait Julien ! Il a donc imploré mes parents de me prénommer ainsi. Fin de l’histoire ! Ennuyant, non ?

Par contre, ça me donne une idée…pourquoi ne pas réinventer l’origine de mon prénom ? Créer une nouvelle histoire que je pourrais raconter à tous pour épater la galerie ? Lancez-vous dans une quête avec vos élèves pour les amener à…mentir, à revisiter leur histoire et créer un récit extraordinaire !

Des idées en arts plastiques

Comment passer à côté de l’idée de faire nos propres Trophoux[1] (p.114) ? Fabriquez vos propres sculptures à l’aide «d’objets de rien» comme le fait Bérénice ! Reprenez l’œuvre «Les Trophoux» de Réjean Ducharme, alias Roch Plante, pour créer des œuvres uniques réalisés à partir de «rien» qui, pour la plupart, présentent une symétrie notable.

©Roch Plante (Réjean Ducharme), « Trophoux – Chasse-pièges », Lanctot Éditions (1993)
©Roch Plante (Réjean Ducharme), « Trophoux – Thof », Lanctot Éditions. (1993)

Invitez vos élèves à donner des titres loufoques à leur oeuvre à la manière de Ducharme. Créez des jeux de mots ou encore des néologismes (mots nouveaux dans une langue) comme il le faisait. Pensons à «Qu’est-ce qu’on étend pour être heureux» qui fait référence à «Qu’est-ce qu’on attend pour être heureux», ou encore «Plaintes grimpantes» au lieu de «Plantes grimpantes». Dans l’œuvre de Trudeau, elle fait référence à un néologisme de Ducharme, soit un «enfantôme», contraction des mots «enfant» et «fantôme». À vous d’être créatif maintenant ! Essayez, ce n’est pas si compliqué !

  • Hélicopterreur (hélicoptère et terreur)
  • Jardindon (jardin et dindon)
  • Couverturbine (Couverture et turbine)
  • Ventriculbute (Ventricule et culbute)

…vous voyez !

Pour faire référence à l’illustration de Cyril Doisneau à la page 38, vous pourriez aussi créer avec vos élèves des dessins abstraits en couleurs, tout comme le fait Bérénice et le faisait Réjean Ducharme. Inspirez-vous du manuscrit Le Lactume et des 198 dessins de Réjean Ducharme pour créer un spectacle littéraire. L’occasion serait parfaite de reproduire l’exposition Le Lactume, en laissant libre cours à l’imagination de vos élèves afin de produire de l’art non figuratif. L’histoire se cachant derrière la publication tardive de cette oeuvre est une véritable épopée qui passionnera certainement vos lecteurs. Trudeau raconte justement une partie de cette odyssée à la fin de son livre dans une section documentaire intitulé «L’auteur fantôme ou le mystére de Redgee Dee».

©Réjean Ducharme, « Le Lactume – Pas de quoi être fier de son coup / Who cares? », Éditions Du Passage, p. 53

©Crédit photo: Radio-Canada – Les dessins de Lactume de Réjean Ducharme.
©Réjean Ducharme, « Le Lactume – Souris chauve », Éditions Du Passage, p.23

Merci, Catherine Trudeau, de nous avoir offert une version revisitée de Bérénice, personnage que j’aime profondément depuis le début de mon âge adulte ! Courez vous procurer cette œuvre, c’est un fichu de fichu de bon roman !

 

[1] Gallimard: «Les Trophoux, de Roch Plante, alias Réjean Ducharme, est un album de photos couleurs réunissant 67 oeuvres originales de cet écrivain mythique. On y trouvera des oeuvres picturales en trois dimensions, collages excentriques situés en un point fictif entre la sculpture et la peinture, qui témoignent du parcours singulier de l’artiste. Les titres des oeuvres, parfois loufoques, souvent révélateurs, sauront charmer les amoureux de la langue de Ducharme et leur fourniront sans doute une clé inédite dans la lecture de l’oeuvre immense de cet écrivain hors normes.»


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