(Un article de Louisanne Lethiecq)

Surtout, ne vous laissez pas berner par le petit format carré et l’aspect simpliste de cet album.Bien que tous les personnages soient des petites formes de couleurs, nous ne sommes pas là devant un album destiné aux poupons, bien au contraire.

Les cercles colorés racontent une terrible histoire de dictature, d’oppression, de conquête et de régime de terreur. Cela dit, la manière imagée de traiter de ces thèmes difficiles rend cette œuvre accessible à tous les élèves du préscolaire et du premier cycle.

Par un jour comme les autres, un cercle noir nommé Ubu avale le roi et prend sa place sans que personne n’ait le temps de protester. Gonflé d’égo, il s’affaire ensuite à engloutir tous ceux qui auraient l’audace de s’opposer à son règne de terreur. Et c’est ainsi que la gloutonnerie du nouveau dirigeant a déclenché un génocide. Tour à tour, il dévore les autres cercles de couleurs, mais personne n’ose parler de peur d’être le prochain au menu. Il continue sa conquête jusqu’à ce qu’il ne reste plus personne à se mettre sous la dent. Puis, sous la pression de ses actes, le dictateur vorace éclate et tout le monde reprend sa place. Rapidement, tous oublient ce qui s’est passé et poursuivent paisiblement leurs occupations. Plus personne ne se souvient, personne sauf le personnage principal qui s’est maintenant investi d’une mission de transmission de l’Histoire aux générations suivantes. Il devint conteur afin que personne n’oublie l’horreur des événements passés.

Il est intéressant de porter attention aux pages de garde finales, car elles referment une fin ouverte, un prolongement de l’histoire. En effet, on y voit trois petits cercles, qu’on devine être des enfants, et l’un d’entre eux tente de croquer les deux autres. À mon avis, il s’agit d’un avertissement; cette violence est également présente chez les plus petits, souvent sous la forme de l’intimidation. Si on n’est pas aux aguets, l’Histoire a malheureusement la fâcheuse tendance à se répéter.

La première et la quatrième de couverture sont associées, ce qui accentue la domination d’Ubu sur le personnage principal. Il est donc souhaitable de présenter l’album en montrant ce détail du paratexte aux élèves. Les illustrations sont simples, mais efficaces. Elles sont composées de quelques cercles réalisés à l’encre de couleurs sur un carton écru. Aussi, il est intéressant de noter que certaines illustrations sont réalisées sur un papier de lin texturé sur lequel on aurait effectué un léger frottis.  Cette technique est présente à trois reprises dans l’album, soit aux moments où Ubu dévore un peuple. L’utilisation de formes simples semble faire partie du style de l’auteur-illustrateur. En effet, on remarque une approche artistique semblable dans l’album « Quatre petits coins de rien du tout » publié en 2012 chez Mijade.

Le texte est relativement court et certains passages sont récurrents. De plus, on remarque que le texte est composé de deux points de vue, celui d’un narrateur omniscient et celui du personnage qui s’exprime au « je ». Aussi, on constate également la présence de certains dialogues ou quelques phrases dites par les autres personnages. Considérant que cette œuvre est une adaptation de la pièce de théâtre « Ubu roi » créée par Alfred Jarry en 1896, il serait très riche de lire cet album à trois voix, en invitant deux autres personnes à animer la lecture avec l’enseignante afin d’en faire une interprétation plus juste.

« Ubu » par Jérôme Ruillier, publié chez Bilboquet-Valbert

CC  Louisanne Lethiecq