Par Benita Kanozayire et Lucie Béchard


Depuis plusieurs années, nous soulignons le Mois de l’histoire des Noirs à l’aide de lectures phares sur le racisme, la ségrégation raciale et l’esclavage; nous vous avions proposé un réseau littéraire l’an passé et Julien nous en a parlé lors de son article paru dernièrement. Devoir de mémoire oblige, on met en lumière des événements peu reluisants du 20e siècle, ici et ailleurs. Souvent, ailleurs. États-Unis, Afrique du Sud, Europe. Et ici? Qu’en est-il de notre histoire?

Nous avons souvent l’impression que l’esclavage, ça s’est passé là-bas, pas chez nous. Eh bien détrompez-vous! Il y eut bel et bien des esclaves au Canada à l’époque de la Conquête. L’historien et rapper Webster vous invite, vous et vos élèves, à faire connaissance avec Olivier Le Jeune, premier esclave au Canada.

Quelques mots sur l’auteur et sa démarche

Aly Ndiyaye, issu d’une mère québécoise et d’un père sénégalais, est originaire de la ville de Québec. Très actif sur la scène hip-hop (Webster est son alias d’artiste rap) depuis les années 1990, l’autoproclamé SénéQueb est passionné d’écriture, de poésie et d’histoire; il a d’ailleurs fait ses études universitaires dans le domaine. Avec les années, il s’implique énormément dans sa communauté, notamment dans le but de favoriser l’inclusion, de défendre la discrimination raciale, le profilage et le racisme. De là son intention de rendre l’histoire du Québec un peu plus multiculturelle que ce qu’on a l’habitude de lire dans nos manuels d’histoire. Par ailleurs, il donne des ateliers d’écriture aux jeunes du primaire et du secondaire ici, des États-Unis jusqu’en Asie. Autre accomplissement, il a orchestré une exposition éphémère au Musée des Beaux-Arts de Québec intitulée Fugitifs! Cette dernière avait pour but de mettre un visage sur les hommes et les femmes esclaves du Québec et ainsi humaniser les individus répertoriés dans les archives datant du 18e siècle. L’exposition va d’ailleurs trouver refuge au Musée des Beaux-arts de Montréal en juin 2020. L’historien souhaite aussi mettre en lumière ce passé colonialiste en organisant des visites guidées sur l’esclavage et la présence noire dans la vieille capitale: les tours Qc History X.

 

 

Qui était Olivier Le Jeune?

Ce livre n’est pas une étude historique, mais bien une fiction inspirée d’un fait vécu. J’ai tenté de retracer ce à quoi aurait pu ressembler le parcours d’Olivier Le Jeune, de l’ile de Madagascar jusqu’à la vallée du Saint-Laurent dans la première moitié du 17e siècle.

– Webster, Le grain de sable, épilogue p. 74

 

Le récit débute avec la contemplation du personnage principal, devant une étendue blanche, froide qui reçoit une bordée de flocons. Cependant, ce dernier est empli de souvenirs. Souvenirs d’une plage, la plage de son enfance à Madagascar, avant qu’un intrigant voilier ne vienne l’arracher de chez lui. Ce bateau, vous l’aurez deviné, est un négrier qui le mène vers l’ile de Gorée, ce lieu mythique transitoire de l’époque de la traite des Noirs.

(C) Le grain de sable, Webster et Valmo, Éditions Septentrion, p. 22-23*

Celui-ci l’amènera jusqu’au large de Tadoussac pour finalement terminer sa route à Québec. Son parcours sera parsemé de douleur et de désarroi, alors que l’auteur-historien raconte de façon graphique les conditions sordides réservées aux esclaves, spécialement lors du voyage transatlantique. La vie imaginée de Le Jeune est aussi parsemée de mélancolie et de sérénité, une fois qu’il fut pris en charge par un jésuite, notamment, et qu’il fit connaissance d’une jeune autochtone avec laquelle il se liera d’amitié. Les illustrations de Valmo sont puissantes, crues, saisissantes de réalisme.  Elles laissent parfaitement émaner la détresse de l’enfant esclave.

(C) Le grain de sable, Webster et Valmo, Éditions Septentrion, p. 50-51*

Le tout s’arrime magnifiquement bien avec les mots et les expressions soigneusement choisies par l’auteur qui ne sont pas sans rappeler l’écriture poétique exigée par la création musicale de style rap.

Insultes et coups de canne, j’étais froissé comme des feuilles à l’automne. J’accompagnais le soleil sans pourtant voir la lumière. De l’aube de la nuit noire une affliction trop coutumière: frotter, servir, porter, laver, jeter, forcer, sortir, rentrer, sécher, lever, courir, grondé subir, aller, pousser, couper, souffrir, brosser, poser, tenir, grondé, fléchir, tomber, rossé

© Le grain de sable, par Webster et Valmo, éditions Septentrion, p. 53

Il s’agit donc d’une histoire tragique, passablement longue, si l’on compare avec les lectures interactives des albums proposés auparavant. Le vocabulaire est aussi très soutenu, mais l’auteur a pensé à ses lecteurs: un glossaire est disponible en annexe tant pour le lexique que pour les références historiques qui foisonnent dans le récit.

Pour toutes ces raisons, nous vous suggérons une lecture en 3 temps, un peu à la manière d’une lecture feuilleton. La discussion après chacune des parties est à privilégier : sous forme de turn and talk, afin de partager ses émotions, d’une part, et de faire un retour sur le fil du récit, d’autre part. Les élèves pourraient aussi se servir de leur carnet de lecture pour garder des traces de leurs réflexions. Pour télécharger la planification complète, cliquez sur l’image ci-dessous:


Pour aller plus loin: quelques pistes interdisciplinaires …

  • Dégager les sentiments éprouvés par le personnage principal
    • Construire, avec les élèves, une ligne du temps ou un tracé évolutif dans le temps et l’espace pour chaque partie du récit
    • Nommer les sentiments et déterminer lesquelles sont démontrées de manière explicite et implicite (à l’aide d’un code de couleur ou de papillons autocollants variés)
  • Comparer des œuvres littéraires
    • Faire des liens avec d’autres albums traitant d’esclavagisme ou des conditions de vie des Premières nations, tels que :
    • Libre : le long voyage d’Henri, par Ellen Levine et Kadir Nelson publié aux éditions Scholastic
    • Je ne suis pas un numéro, par Jenny Kay Dupuis, Kathy Kacer et Gillian Newland publié aux éditions Scholastic
    • Compléter un carnet d’appréciation : cliquez sur l’image pour télécharger un modèle neutre en format 8.5 x 14
    • Effectuer un combat des livres
  • Dégager les procédés utilisés par l’auteur
    • Construire, avec les élèves, un tableau d’ancrage pour répertorier les procédés utilisés par l’auteur
    • Pistes d’observation :
      • la présence de rimes, d’expressions imagées
      • la mise en page (lien à faire avec la poésie)
      • le rythme apporté par les énumérations (retour sur la p. 53)
  • Faire la lecture d’un texte de Webster (voir son recueil À l’ombre des feuilles publié chez Québec Amérique)
  • Procéder à l’écoute et l’analyse des paroles de la chanson Qc History X  et relever des liens avec l’œuvre lue

 

  • Rédiger une lettre à Olivier Le Jeune :
    • Proposer aux élèves de s’exprimer sur les émotions ressenties en lisant son récit
    • Décrire la vie au Québec (et en Amérique) d’aujourd’hui afin de lui partager l’évolution vécue par la communauté noire au fil des ans

 

  • Écrire à propos d’autres personnages historiques marginalisés
    • Choisir un personnage méconnu faisant partie de la communauté noire, latino-américaine, autochtone, etc. (l’écoute de la chanson Qc History X pourrait servir de déclencheur)
    • Partager le fruit de ses recherches via une présentation orale (diaporama, affiche, dépliant) ou d’un texte informatif
    • Écrire une lettre d’opinion adressée au Ministère afin de proposer que ces personnages soient ajoutés au cursus d’univers social au 3e cycle ou au secondaire

 

  • Discuter des sociétés démocratiques et non démocratiques
    • Comparer les sociétés avec les conditions de vie des Noirs aux États-Unis durant la ségrégation ou durant l’Apartheid en Afrique du Sud
    • Partager le fruit de ses recherches via une présentation orale (diaporama, affiche, dépliant) ou d’un texte informatif

 

Voilà. Le voile est levé. Allez-vous faire découvrir Olivier Le Jeune à vos élèves? Si oui, faites-nous part de leurs réactions et commentez l’article ou la publication Facebook et Instagram (@enseigner_litt_jeunesse)

L’auteur a très hâte de vous lire. D’ailleurs, il se rend disponible pour répondre à toutes vos futures questions! Suffit de nous écrire! 

* images diffusées avec l’accord de l’éditeur


Pour vous procurer les œuvres dont il est fait mention dans cet article: