Par Benita Kanozayire et Julien Leclerc


Exploiter un livre. Explorer un livre.

Deux mots, presque semblables, aux définitions fraternelles. Exploiter un livre reviendrait à «faire valoir quelque chose, un bien ; en tirer parti par le travail productif» alors qu’explorer un livre nous amènerait à «examiner quelque chose minutieusement, en utilisant nos sens». Je ne sais pas pour vous, mais associer un travail productif à une œuvre incontournable qui nous a chamboulé.e, qui nous a fait rire, qui nous a ouvert sur le monde… non merci, pas pour nous.

Qu’on soit étudiant.e.s en enseignement, enseignant.e.s débutant.e.s ou enseignant.e.s d’expérience, on ne peut s’empêcher de s’émerveiller devant tout l’engouement avec la littérature jeunesse en classe. Enfin! Des livres, de VRAIS livres débarquent dans nos salles de classe! On délaisse les manuels! On fait des lectures interactives, des réseaux littéraires, des mini-leçons! On enseigne avec la littérature jeunesse! Oui, mais… il est facile de tomber dans le piège d’enseigner de façon chirurgicale avec la littérature. Pour reprendre les mots de Pennac (Gardiens et Passeurs):


«Nous nous emparons des textes, nous les découpons en morceaux sur la table de dissection, avec le faux espoir que nos élèves trouveront dans leurs entrailles la beauté rédemptrice et le sens libérateur. Cette initiation chirurgicale aux belles-lettres pétrifie le plus grand nombre.»

 

Lors d’un atelier de formation à l’institut de lecture donné par le Teacher’s College de l’Université de Colombia, une phrase (parmi tant d’autres) nous a marqués. Shanna Frasin disait:  « writing about reading, is not an end, but a mean » Autrement dit:

écrire à propos de ses lectures n’est pas une fin, mais un moyen

Et si on va plus loin, d’un œil de passeur, de lecteur expert, d’éducateur, écrire à propos de ses lectures ne devrait donc pas être la finalité attendue pour juger à tout prix de la valeur de nos lecteurs. 

Les pièges

Les ‘carnets’ de lecture prêts à photocopier vendus en ligne. Les cartes à tâches. Les questionnaires après la lecture. Osons l’affirmer en toute franchise: ce sont des exerciseurs sous un autre format. Ce n’est pas mauvais en soi, surtout si c’est bien dosé dans notre enseignement. Mais c’est loin de l’expérience authentique et c’est ce genre de tâche qui, à la longue, peuvent provoquer chez nos élèves une aversion pour la lecture.

Si on se ramène à notre expérience scolaire, primaire ou secondaire, après avoir lu un chapitre ou à la fin d’un roman, qu’est-ce qu’on aimait moins?

  • Répondre à des questions après un roman.

Qu’est-ce qu’on aimait le plus?

  • Partager avec nos ami.e.s ce qu’on avait aimé ou détesté d’un roman. Et c’est encore vrai à l’âge adulte, non?

Comprenez-nous bien:  nous sommes aussi tombé.e.s dans le piège. Suffit d’aller faire un tour dans nos premiers articles: presque tous contiennent des pistes de prolongement et des documents clé en main. Et c’est tout à fait correct et assumé. Et disons-le: c’est fortement ancré en nous, profs du 3e cycle, récolter des traces, toujours plus de traces pour appuyer notre jugement professionnel. L’évaluation, ce nuage qui flotte au-dessus de nos têtes et celle de nos élèves. Avec les années, cependant, on a envie de prendre un pas de recul lorsque vient le moment de récolter ces fameuses traces. 

Voici les pistes réflexives qui nous guident dorénavant:

  • Quelle est mon intention pédagogique?
  • Quelle est la plus value de donner un questionnaire de lecture?
  • À quels moments est-ce pertinent de faire écrire les élèves à propos de leurs lectures?
  • Qu’est-ce que je veux valider auprès de mes élèves?
  • Est-il possible de garder des traces d’une autre façon?
  • Pourquoi évaluons-nous?
  • Quel sera l’impact de ce type d’activité sur le sentiment de compétence et la motivation de mes élèves?

Laquelle de ces questions vous interpelle davantage? On vous laisse y réfléchir et on vous revient la semaine prochaine avec des pistes de solutions pour évaluer autrement…