Par Julien Leclerc


Il y environ un an de cela, je faisais part de mon intérêt à la maison d’édition Héritage Jeunesse à écrire pour la collection UNIK (dont je vous ai parlé dans l’article La poésie narrative, un genre UNIK à explorer!). Après avoir soumis une première version de mon texte à Thomas Campbell, éditeur, je ne pensais pas que la machine littéraire allait s’enclencher aussi rapidement.

Dans cet article, je vous raconte à quel point le fait de me plonger dans une démarche d’écriture m’a amené à comprendre ce qu’est réellement la compétence «écrire des textes variés» et comment elle devrait se vivre en classe. Je vous suggère fortement d’écrire, vous aussi, lors de la période d’écriture avec vos élèves si vous en avez le temps. N’hésitez pas à écrire un texte modèle qui évoluera au fil des leçons pour montrer à vos jeunes auteur.rices que vous aussi vous souhaitez faire évoluer votre texte en suivant la démarche d’écriture. Le simple fait d’enseigner des stratégies rédactionnelles viendra réveiller en vous l’auteur.rice qui se cache!

Voici donc le récit d’un cycle complet, de la collecte d’idées à la publication!

1. Planification 

En lecture, on dit souvent qu’il y a des livres-miroirs ainsi que des livres-fenêtres. La première catégorie fait référence aux aventures qui nous permettent de nous reconnaître, de nous identifier aux personnages, à ce qu’iels vivent. La deuxième catégorie, les livres-fenêtres, nous permet d’ouvrir nos esprits, de nous plonger dans un univers que l’on ne côtoie pas nécessairement de près. Elle nous demande un travail supplémentaire pour comprendre adéquatement ce qui se passe. Un même livre peut aussi agir doublement, c’est-à-dire que l’on pourrait se reconnaître dans certains éléments du récit et à la fois voyager dans monde qui nous est inconnu.

Lorsqu’un.e auteur.rice se lance dans une démarche d’écriture d’un texte littéraire, iel peut penser aussi au genre de récit qu’iel souhaite raconter: un récit-miroir que l’on appelle plus communément une autofiction (mêlant la fiction et l’autobiographie), ou encore un récit-fenêtre, une histoire qui n’est pas rattachée à la vie de celui ou celle qui tient le crayon, une fiction (construction imaginaire).

Alors l’une des premières décisions que j’ai prise en 2021 en ce qui concerne le récit que je souhaitais écrire était: « Je vais écrire une autofiction! »

Comme la collection UNIK m’avait particulièrement ébranlé et inspiré, je me suis dit que je pourrais raconter un moment de ma vie et que ce serait peut-être plus facile pour moi d’écrire si je pars de mon propre vécu.

Mais comment commencer? Et bien, j’ai revisité certaines mini-leçons de planification pour m’aider à m’enligner: «commencer par des moments clés», «se plonger dans l’histoire» et «s’inspirer des mots de d’autres auteurs», trois grandes leçons du module d’écriture «L’art d’écrire de puissants récits personnels». Il faut se le dire, je suis encore un apprenti auteur… on ne m’a jamais enseigné à écrire de cette façon, explicitement. Alors, au cours des dernières années, j’ai appris à écrire en même temps que les jeunes auteurs.rices que j’ai cotoyé.es.

Voici donc le moment clé que j’ai choisi comme inspiration principale de mon récit:

En 6e année, j’ai manqué trois mois d’école, car je vomissais quotidiennement. Après plusieurs visites à l’hopital, après plusieurs consultations avec différents spécialistes, on pensait à cette époque que je souffrais seulement de reflux-gastro-oesophagien. Je vivais énormément d’angoisse au quotidien, mon reflet dans le miroir ne me plaisait pas et je me mettais toujours la pression d’être parfait.

J’ai ensuite pensé aux lieux, aux événements qui entouraient cet événement: la cour d’école, ma salle de bain, les visites à l’hopital, ma chambre, mon quartier. Et dans un but d’exploration du genre, j’ai aussi fait l’exercice de relire les ouvrages de la collection UNIK, car je souhaitais que ma voix d’auteur puisse tirer son inspiration de ses auteur.rices que j’admirais déjà.

2. L’écriture

Comme je l’ai souvent répété aux jeunes auteur.rices à qui j’ai enseigné, lors de cette étape, on ne doit pas se censurer, on ne doit pas se casser la tête. C’est la partie où l’on n’est pas obligé de trop réfléchir, un peu comme lorsqu’on est en mode «écriture automatique». On couche sur notre feuille (ou sur notre écran) les mots, les phrases, les idées dans un ordre plus ou moins encore établi. On raconte notre histoire dans sa version la plus brute, sans filtre.

Pour être honnête avec vous, la première version de La balance du vide, qui avait comme titre provisoire au départ Le pion de la reine, ne ressemble en rien à la dernière version. Je racontais les événements avec peu de retenue, mais en utilisant un lexique très scolaire, très riche, mais dénué d’émotions. La musicalité n’était pas au rendez-vous. J’étais en mode «je veux séduire mon éditeur, lui montrer que j’écris bien». J’ai donc produit une première version «correcte», mais sans chaleur. C’est le cas pour plusieurs élèves qui ont appris à écrire pour «faire plaisir» à leur prof et pour répondre aux exigences scolaires.

3. La révision

Cette étape est trop souvent sous-estimée, tant aux yeux des élèves que ceux des enseignant.es. Je me souviens encore finir mes productions écrites dans les premiers de ma classe au primaire, d’aller chercher l’approbation de mon enseignant.e et de me faire dire: «C’est bon! Maintenant, va ajouter un peu de détails, des beaux mots. Développe encore plus tes idées!»

Je retournais à mon pupitre et je faisais ce que je croyais bon; j’allais chercher un dictionnaire des synonymes et je me transformais en police des mots! En prison les mots génériques! Il faut les remplacer par des beaux mots! Je me souviens encore d’un texte en secondaire 4 où j’ai remplacé le mot «homme» par «quidam», sans connaître la définition de ma trouvaille. À mes yeux, c’était ça réviser… on ne m’avait jamais enseigné explicitement ce que c’était.

J’ai compris cette année ce qu’était réellement et concrètement réviser un texte. Premièrement, réviser ce n’est pas simplement aller «embellir notre texte» à l’aide de beaux mots… ça, je crois qu’on l’a toustes compris. Réviser, ce n’est pas seulement reprendre tous les procédés littéraires appris en classe et repasser notre texte au radar…

Réviser, c’est mettre notre égo de côté.
Réviser, c’est faire confiance aux regards extérieurs, à notre partenaire, à notre enseignant.e.
Réviser, c’est accepter d’enlever, de déplacer, de remplacer, d’ajouter.
Réviser, c’est se questionner.
Réviser, c’est prendre des risques.
Réviser, c’est faire évoluer son texte en réfléchissant à notre lectorat.
Réviser, c’est laisser des traces de l’évolution.
Réviser, c’est aussi réécrire son texte.

C’est donc à l’aide «d’entretiens» avec mon éditeur que j’ai reçu des commentaires pertinents, que j’ai pu réviser mon texte mainte et mainte fois: un total de neuf versions. Après chaque entretien avec mon éditeur (que l’on peut comparer à mon enseignant ou à mon partenaire d’écriture), j’avais des objectifs en tête pour ma révision: des passages à retirer, des paragraphes à déplacer, de nouvelles idées à écrire et à développer, des phrases à raccourcir, une musicalité à trouver, etc. J’avais du pain sur la planche!

Mon éditeur connaissait autant mon texte que moi, nous discutions beaucoup ensemble afin qu’il puisse comprendre l’histoire que je voulais raconter, il m’invitait aussi à me poser des questions sur ma propre histoire pour explorer des voies auxquelles je n’avais pas pensé. Si vous saviez à quel point j’ai vécu une montagne d’émotions…

Un peu comme toutes les oeuvres de la collection UNIK, une certaine thématique se cachait en toile de fond. J’avais lu l’ouragan, la lumière, la nature… De mon côté, j’avais choisi comme tapisserie : le jeu d’échecs (parce que j’ai peur de l’échec… ouin, je n’avais peut-être pas cherché bien loin). En discutant avec mon partenaire, nous avons plutôt opté pour symbole : la balance. Un passage comme celui-ci a donc été retiré lors des versions qui ont suivi:

Tu performes là où tu es bon, et tu évites de sauter dans le vide. Mais à l’âge de onze ans, en plein coeur d’un programme d’anglais intensif, tes tours se sont effondrées, ton cheval de bataille allait être immense, les fous ont commencé à te jouer dans la tête, et ta reine s’inquiète pour toi.

Ah oui, j’oubliais de vous dire: l’entièreté était aussi narrée à la deuxième personne du singulier. Je m’étais inspiré de la plume de Jean-Philippe Baril-Guérard. Je souhaitais que le Julien d’aujourd’hui s’adresse au Julien d’il y a 20 ans. Vous voyez, tellement de changements!

Lors de la partie révision, ce sont pratiquement tous les critères d’évaluation qui y passent: l’adaptation à la situation d’écriture, la cohérence textuelle, le vocabulaire et la syntaxe! Elle n’est donc pas à négliger!

4. La correction

On va toustes s’entendre sur quelque chose… corriger un texte, ça peut lourd et il s’agit probablement de la partie la moins amusante dans le processus de création littéraire. C’est pourquoi il est important d’installer le doute orthographique rapidement chez nos élèves. Ces questionnements au fil de l’écriture viendront grandement alléger le travail qui doit être fait à cette étape. Et c’est exactement ce que j’ai fait lors de mon processus d’écriture. En écrivant, je me questionnais sur l’orthographe d’usage et sur l’orthographe grammaticale. Si je ne connaissais pas l’orthographe exacte d’un mot, je l’écrivais de la façon la plus logique qui existe (en réfléchissant aux régularités orthographiques, aux mots de famille, à ma mémoire photographique, etc.) et je me disais que j’y reviendrais plus tard.

Évidemment, j’écrivais sur un logiciel de traitement de texte tout en utilisant un logiciel de correction. Ce logiciel de correction, c’est un peu le deuxième regard que l’on a besoin sur un texte lorsqu’on a le nez trop collé dedans. Un logiciel de correction nous propose des corrections, mais il n’est pas toujours juste et n’a pas toujours raison. Il crée chez l’auteur.rice un questionnement. Il soulève une erreur, mais il revient à l’auteur.rice de faire le choix correctif. C’est pourquoi le partenaire devient un élément clé dans cette étape qu’est la correction.

 

À la vue de cette capture d’écran tirée de la PDA, je souhaite poser votre regard sur les points suivants:

  • Se questionner sur l’orthographe d’usage et laisser des traces de ses doutes;
  • Utiliser des stratégies développées en classe pour rechercher en mémoire l’orthographe d’un mot déjà étudié en se rappelant les observations ou les liens établis autour de ce mot et en jetant sur papier quelques façons possibles d’écrire ce mot pour susciter un rappel visuel;
  • Utiliser efficacement un correcteur orthographique intégré à un traitement de texte;
  • Vérifier l’orthographe des mots à côté desquels se trouvent des traces de doutes laissées en cours de rédaction (mots connus ou inconnus) en consultant des outils de référence, une banque de mots, un dictionnaire mural;
  • Vérifier l’orthographe des mots à côté desquels se trouvent des traces de doutes laissées en cours de rédaction (mots connus ou inconnus) en consultant  un dictionnaire « papier » ou informatisé;
  • Vérifier l’orthographe des mots à côté desquels se trouvent des traces de doutes laissées en cours de rédaction (mots connus ou inconnus) en consultant une personne jugée experte.

Les ressources sont donc variées pour guider les temps de correction que vous offrez à vos élèves. N’oubliez pas que ces connaissances doivent être enseignées. Une fois fait, vous pourrez observer des discussions orthographiques entre vos élèves et celles-ci feront briller vos yeux de pédagogue.

Si vous souhaitez en apprendre davantage sur le doute orthographique, je vous invite à écouter cette capsule vidéo (animée par un enseignant exceptionnel, monsieur Jean-Luc), faite dans le cadre de l’émission Matières à emporter.

5. La publication

On y est presque! Le résultat final est pratiquement entre vos mains. Il ne reste qu’à penser à tout ce qui a trait au paratexte, au graphisme, aux petits détails qui feront du texte une création qui rendra l’auteur.rice fier.ère du travail accompli. Dans un processus d’écriture, l’auteur.rice n’est pas obligé.e de porter tous ces derniers choix sur ses épaules. Dans mon cas, j’ai encore plus compris l’importance de bien s’entourer et de réfléchir en équipe aux points suivants:

  • Le titre : notre partenaire d’écriture peut nous donner son opinion sur la puissance du titre que nous avons trouvé pour notre oeuvre, iel peut aussi nous faire des suggestions;
  • Les illustrations / le graphisme / la mise en page: bien souvent, l’illustrateur.rice n’est pas nécessairement l’auteur.rice du texte, il peut donc être intéressant de faire appel à un.e allié.e pour créer des visuels ou pour réfléchir au graphisme et à la mise en page ;

6. La célébration

Et voilà! C’est l’heure de la célébration maintenant! Dans le milieu littéraire, ça ressemble plutôt à un lancement, un Salon du livre, une lecture-conférence. À vous d’être créatif… la publication d’un livre, ça se fête! CHAMPAGNE ET PAILLETTES!

Alors, vous plongerez-vous aussi dans une démarche d’écriture? Essayez! Vous allez adorer!

Et si l’envie vous prend, vous pouvez vous procurer mon premier roman où je m’expose en toute vulnérabilité en cliquant ici !

Par |2023-04-29T21:30:42-04:00avril 29th, 2023|1 Commentaire

Un commentaire

  1. Nathalie Girard 30 avril 2023 à 9 h 31 min - Répondre

    Je comprends que le mot « persévérance »décrit bien le processus d’écriture. En te lisant, cela fait ressortir l’importance de demander aux élèves d’écrire des textes authentiques et signifiants. Bravo Julien pour ton livre et pour le courage que tu as eu de plonger en toi.

Laisser un commentaire

Aller en haut