Par Benita Kanozayire, avec la collaboration d’Annie Gravel

Cet article est une republication


Les événements entourant le meurtre sordide de George Floyd ont soulevé l’indignation et la colère autour de nous, ici et ailleurs en 2020. Et pour cause. Pour certains, ce n’était qu’une démonstration de plus du mal ambiant qui plane sur notre société. Pour d’autres, le voile s’est levé sur la présence du racisme plus près de chez nous. Tout cela nous porte à réfléchir à notre posture en tant que citoyen. Mais à plus forte raison, en tant qu’éducateur. Plusieurs voix se sont fait entendre sur les réseaux sociaux. Celles des personnes racisées, écoeurées. Celles des personnes privilégiées, médusées. Celles des personnes alliées, empathiques, mais impuissantes. Toutes ses voix s’entremêlent, car le racisme n’est pas le problème de l’un ou l’autre des camps. Sa lutte l’est encore moins.

Tentons de démêler le tout question d’y voir plus clair et de faire mieux, pour nous, pour nos élèves surtout. D’abord, une mise en contexte de notre rapport vis-à-vis les communautés culturelles.

Benita, maman et enseignante 

Crédit photo: archives personnelles de Benita Kanozayire

Mon expérience avec le racisme date de très, très longtemps. D’aussi longtemps que je me rappelle, on m’a mis devant ma différence, par des remarques, parfois anodines, parfois plus acrimonieuses. Au primaire, ça pouvait se limiter à des questions sur ma peau du genre « Pourquoi l’intérieur de tes mains est pâle? C’est bien étrange! » ou des comparaisons douteuses comme « Tes cheveux, c’est comme des éponges de SOS! « . Parfois, c’était des gestes curieux, mais intrusifs comme de me faire tâter les cheveux sans mon consentement. Du plus banal et normalisé « Sortez votre crayon couleur peau » (de quelle peau parle-t-on? Je l’ignore toujours), aux généralisations stéréotypées : « Tu dois être bon.ne au basket, toi, hein? Les Noir.e.s sont bons dans les sports! » Par moments, c’était plus agressif, comme l’ultime défense lors d’un argumentaire; le fameux « retourne dans ton pays« . En lisant ceci, toutes les personnes racisées s’y reconnaissent j’imagine. Toutes ces expériences ont souvent été bien enfouies dans nos esprits pour aller de l’avant. Toutes laissent leur marque cependant.

Par chance, la maturité, l’ouverture, le partage d’expériences communes permettront, avec le temps, de prendre conscience de ces microagressions. Malheureusement, celles-ci sont encore présentes, même dans les cours d’école montréalaises en 2020. J’en suis témoin chaque année. La situation est mieux qu’elle l’était, je vous rassure. Autant que possible, j’essaie d’éliminer ce genre de discours chez mes élèves (et collègues). Mais ce n’est pas toujours une tâche facile et, surtout, ce n’est pas une tâche que je peux réaliser seule. Comment faire plus? Comment faire mieux? Comment faire en sorte que mon fils ne traverse pas son primaire comme j’ai dû le faire?

Annie, enseignante

J’ai grandi en banlieue de Montréal, dans une petite municipalité majoritairement blanche. C’est seulement au secondaire que j’ai été exposé à des personnes noires ailleurs qu’à la télévision. Toutefois, j’ai été élevée dans un milieu ouvert où le racisme n’a jamais été toléré. Du moins, c’est ce que je croyais. C’est aussi comme ça que je me définissais : non-raciste. Plus les années passaient et plus les familles multiculturelles venaient s’établir près de chez moi. J’en suis donc venue à enseigner dans un milieu avec une belle diversité culturelle. Ce n’est malheureusement qu’avec les récents événements que j’ai pris conscience de mon rôle en tant qu’enseignante, mais aussi en tant que personne.

Crédit photo: Instagram : @dans.le.monde.de.mme.annie

Je voulais parler de la situation avec mes élèves en utilisant la littérature jeunesse et en fouillant dans mon inventaire de livres, j’ai fait un terrible constat. Sur 500 livres, seulement 17 avaient des protagonistes noirs. Ça m’a frappé. J’ai compris qu’au-delà d’être non-raciste, je ne faisais rien pour faire briller la différence dans ma classe. C’est là que j’ai réalisé qu’en tant qu’éducatrice et enseignante, notre rôle va plus loin que de seulement informer les élèves sur le racisme. J’ai commencé à me renseigner et à m’éduquer sur le sujet et le nombre de réalisations que j’ai faites m’a chamboulée. Je réalisais que le racisme de nos jours allait bien au-delà d’une simple remarque blessante, comme je le croyais. J’ai compris que j’avais concrètement des choses à changer si je voulais que les élèves racisés se sentent bien et à leur place dans ma classe, si je voulais que mes élèves non-racisés soient également impliqués dans le processus de devenir anti-raciste. J’ai voulu, bien humblement, contribuer en vous partageant mon processus de réflexion. Plus je lis, plus je réalise que j’ai fait des erreurs. Mais toutes ces réalisations me donnent la force de continuer à en chercher. J’ai le désir de devenir une meilleure personne, une meilleure enseignante et je remercie donc Benita, ma chère amie, qui prend le temps de nous éduquer, sans que ce soit son rôle de le faire.

Et maintenant, quels gestes concrets peut-on poser? 

Geste allié #1 : Être à l’écoute

Laissez les personnes racisées parler librement de leurs expériences (si et seulement si elles en ont envie). Validez-les. Ne les minimisez pas. L’écoute est plus que bienvenue, présentement, elle est vitale, plus que la prise de parole. Cependant, faites attention de ne pas mettre le projecteur sur eux ; cela pourrait raviver des blessures. Par exemple, demander à votre seul élève noir de la classe de parler de son expérience avec le racisme. Demandez plutôt de manière plus large si quelqu’un reconnait avoir vécu ou été témoin d’une situation de discrimination. Il est possible que l’élève veuille en parler, mais il est aussi possible qu’il ne souhaite pas devenir un porte-parole.

Geste allié #2: Reconnaitre ses privilèges

Il ne s’agit pas de dire que si on est en situation de privilèges, que notre vie est facile. En gros, il s’agit simplement de réaliser qu’il existe une différence implicite entre l’expérience d’une personne racisée et une personne blanche. Cette différence est socialement construite et fait en sorte que l’une doit faire face à des choses que l’autre n’a peut-être jamais considérées. Cette vidéo l’illustre bien d’ailleurs. Bien que la notion de privilèges existe dans plein d’autres sphères (genres, orientation sexuelle, handicap, milieux socio-économiques, etc.), dans le cas présent, il faut qu’on s’attaque à la question de privilèges afin de mieux cerner les difficultés des personnes marginalisées, si l’on aspire à une quelconque justice sociale.

Geste allié #3: S’indigner et s’éduquer

Réagissez immédiatement lorsque quelqu’un véhicule un propos ou pose un geste raciste. Avec la même ferveur que vous le feriez pour un acte homophobe ou misogyne. Défendez vos élèves et collègues racisés qui en seraient victimes. Car oui, les enseignant.e.s racisé.e.s peuvent encore être victimes de propos racistes proférés par des élèves. S’il s’agit de jeunes enfants qui le font avec une certaine inconscience, prenez quand même la peine de faire le pont entre leur vécu en leur demandant comment ils se sentiraient si on avait agi de la sorte envers eux. Et renseignez-vous sur les concepts entourant la question de racisme systémique, de privilèges, de biais inconscients. On doit incarner nous-mêmes le changement si l’on souhaite l’inculquer à nos jeunes.

Geste allié #4 : Diversifier nos bibliothèques

Crédit photo: Instagram – @uneviedeprof

Il est primordial faire de la place aux personnages de couleur dans les livres jeunesses. D’une part, car les jeunes ont besoin de modèles qui leur ressemblent. D’autre part, car il est important de montrer que la réalité des personnes noires n’est pas uniquement teintée de luttes ou de traumas. Nous ne sommes pas que ça. L’histoire des Noirs ne se limite pas aux 28 jours du mois de février. Il en est de même pour les communautés autochtones, arabes, hispaniques et asiatiques, soit dit en passant. Par ailleurs, les libraires et les éditeurs ont aussi leur bout de chemin à faire, à mon avis; il est temps de voir davantage de livres écrits par des auteurs et autrices issus des minorités.

C’est avec cette dernière réflexion qu’Annie a répertorié plus d’une centaine d’œuvres de littérature jeunesse qui mettaient de l’avant la beauté de la diversité culturelle. De par les récits authentiques, fictifs et personnels qui nous sont racontés. Mais également en soulignant les œuvres écrites par des créateurs racisés. Pour accéder à la bibliographie complète, cliquez sur l’image. J’en profite pour te remercier publiquement pour ton investissement et ton ouverture durant nos discussions.

Bibliographie-diversité-culturelle

Pour aller plus loin 

Quelques vidéos pour expliquer la notion de privilèges et de racisme systémique:

Des articles et planifications existantes sur le blogue :

Un documentaire fort pertinent – à voir absolument.

Évidemment, le chemin pour une société anti-raciste se tracera avec bien des malaises, plein de bonnes intentions, mais également des erreurs de parcours. Et c’est correct. On ne naît pas allié, on le devient. On n’a pas besoin d’allié.e.s parfaits, mais d’allié.es qui essaient. Ne restez pas passif par peur de vous tromper en adressant la question avec vos élèves dorénavant. Fermer les yeux n’est simplement plus une option valable si l’on souhaite changer les choses.