Par Julien Leclerc


Portrait d’autrice : Marie-Francine Hébert 

premier d’une série d’articles intitulée «Auteur.rice du mois»

Au cœur de chaque salle de classe réside le pouvoir de transformer de jeunes esprits en explorateurs avides de connaissances. Et quoi de mieux pour stimuler cette soif d’apprendre que de plonger dans le monde enchanteur de la littérature jeunesse, en mettant en lumière les maîtres conteurs qui ont le don de captiver l’imagination ?

Présenter un.e «auteur.rice du mois» ou un.e «illustrateur.rice du mois» est une une initiative pédagogique qui transcende les pages des manuels pour inviter l’inspiration littéraire à prendre vie au sein de votre communauté de lecteur.rices. Dans cet article, nous explorerons l’univers de Marie-Francine Hébert avec son plus récent titre Je te vois, publié aux éditions Les 400 coups dans la collection Carré blanc.

Qui est Marie-Francine Hébert?


Source: Éditions Les 400 coups

Dans le riche paysage littéraire du Québec, une étoile brille d’une lueur particulière, captivant l’imaginaire des jeunes lecteur.rices tout en gagnant le cœur des enseignant.es passionné.es. Il s’agit de Marie-Francine Hébert, une figure emblématique de la littérature jeunesse qui, avec plusieurs décennies d’expérience à son actif, a su proposer des œuvres qui continuent de vivre à travers les générations.

On pense ici à des classiques qui ont marqué l’imaginaire de plusieurs d’entre nous comme:

  • Le fameux roman aux éditions La courte échelle Le blouson dans la peau (œuvre marquante pour notre collaboratrice Benita qui en a brièvement parlé dans le premier épisode de notre balado Bonjour les profs : Nos premières fois);
  • Un crocodile dans la baignoire, Un dragon dans les pattes, Une sorcière dans la soupe, Un monstre dans les céréales, Une tempête dans un verre d’eau (je me souviens encore de mes visites à la bibliothèque de mon école où je me dirigeais toujours vers la section des romans de Marie-Francine Hébert);
  • Nul poisson où aller, une des œuvres les plus marquantes qu’elle a écrite, un album qui a remporté les prix Alvine-Bélisle, Christie et Marcel-Couture. Pour visionner cet album en format court-métrage, dirigez-vous vers la page de l’ONF.

On peut aussi penser aux œuvres plus récentes qu’elle a publiées, qui marqueront j’en suis certain une autre génération d’enfants et d’enseignant.es:

Je te vois : une nouveauté aux éditions Les 400 coups

Plus récemment, Marie-Francine Hébert a publié aux éditions Les 400 coups une œuvre qui mérite grandement le détour intitulée Je te vois, illustrée par Lauranne Quentric.

J’entre dans le restaurant et, tout de suite, je te vois parmi les autres clients. Pourquoi toi? On ne se connait pas, et pourtant, je te reconnais, on dirait.

[…]

Tu portes un manteau coloré avec juste un peu de rose. À ton âge, trop de rose, ça fait bébé. Il est boutonné jusqu’au menton et ta tuque est enfoncée sur ton front. Tu es prête à partir et tu attends que ta mère s’en rende compte et range son téléphone.

Je suis toujours très enthousiaste lorsque je découvre un texte de Marie-Francine Hébert pour la première fois; je sais déjà que sa plume me fera vivre des émotions, qu’elle me fera réagir spontanément comme j’aime. Cette femme a un don pour livrer des textes empreints d’une douceur poétique, d’expressions et de mots puissants, le tout accompagné cette fois d’illustrations sublimes où se superposent des collages de papiers de soie.

La narration est assumée par une femme qui entre dans un restaurant en compagnie de son partenaire. Son regard est tout de suite attiré par une fillette assise en face de sa maman, visiblement absorbée par son téléphone portable. Avec patience, la petite fille attend l’attention de sa mère, espérant qu’elle émerge bientôt de ses pensées. On pourrait croire que l’on assiste à une scène moralisatrice sur l’usage excessif des téléphones portables. Toutefois, la subtilité de l’histoire réside dans son exploration du rapport complexe que les enfants entretiennent avec des parents plongés dans la solitude, dans leur propre imaginaire, fuyant l’instant présent en raison du nuage gris qui crée de l’ombre sur leur humeur.

Prolongement pédagogique

Mon premier réflexe lorsque je lis une œuvre jeunesse est de tout simplement l’apprécier. Je ne tente pas de trouver des pistes pédagogiques, des prolongements, des questions de lecture interactive à poser aux élèves. Il est important de reconnaître d’abord la valeur de l’œuvre, l’amour qu’on lui prête. Ensuite, si l’inspiration me vient pour l’intégrer dans mon enseignement à l’aide de la littérature jeunesse et bien tant mieux!

Pour cette œuvre, ce qui m’a le plus interpellé est le point de vue de la narratrice. Je me suis rapidement identifié à elle en raison de la narration au «tu» (comme dans son album Tu me prends en photo). Qui d’entre vous n’a pas déjà tendu l’oreille à la conversation de la table d’à côté au restaurant? Qui n’a pas déjà imaginé la conversation du couple situé en diagonale de vous? Qui n’a pas déjà tenté de reproduire la conversation endiablée d’une table au loin en faisant du doublage? (vous vous dites peut-être que mes soupers au restaurant avec mon copain sont peu palpitants si je m’amuse à observer les autres tables, mais demeure qu’il s’agit d’un petit jeu que j’aime bien faire! haha!)

On demande souvent aux élèves de développer les pensées intérieures de leur personnage en écriture, mais il pourrait aussi être enrichissant que nos personnages s’intéressent aux autres personnages de leur histoire en les interpellant par le pronom «tu» ou le pronom «vous». Rares sont les textes utilisant ce type de narration. La première fois que j’ai été en contact avec ce type de narration c’était lors de ma lecture des romans pour adulte Royal et Haute démolition de Jean-Philippe Baril Guérard.

Exemple d’un texte révisé avec l’ajout d’une narration au «tu»:

Au moment où je franchis la clôture de ma cour d’école, je me prépare à m’élancer vers mon groupe d’amis. J’ajuste les bretelles de mon sac à dos tout en les regardant au loin. Mes camarades qui viennent de m’apercevoir me saluent avec enthousiasme.

V1: Toutefois, je remarque Amine assis tout seul prêt du terrain de basket. Je me demande s’il m’a vu. Il m’a appelé tous les soirs cette semaine, mais hier je n’ai reçu aucun appel de sa part. Que se passe-t-il? A-t-il été rejeté par nos amis? Pourquoi s’isole-t-il ainsi ce matin?

V2: Toutefois, je te remarque assis tout seul prêt du terrain de basket, la tête inclinée vers le sol. Je me demande si tu m’as vu. Tu m’as appelé tous les soirs cette semaine, mais hier je n’ai reçu aucun coup de téléphone de ta part. Que s’est-il passé? As-tu été rejeté par nos amis? Pourquoi t’isoles-tu ainsi ce matin? 

On pourrait ensuite étudier l’effet de ce procédé littéraire et tenter de retravailler certains extraits d’album jeunesse en se pratiquant à utiliser la deuxième personne du singulier lors d’un court exercice d’écriture. Les élèves pourraient aussi tenter de réviser leur texte en retravaillant certains passages à l’aide de cette technique d’auteur.rice. Ce qui me plait particulièrement de ce procédé, c’est qu’on humanise encore plus «l’autre personnage»; on sent que sa place dans l’histoire est encore plus grande qu’on ne le pense. On s’intéresse réellement à lui tout en créant une forme de mystère autour. Avec la narration au « tu », le lecteur se sent directement interpellé: on dirait que c’est « ton » histoire que tu lis. Cette perspective unique de narration au «tu» invite les lecteurs à s’immerger dans l’histoire de manière encore plus intimiste, permettant ainsi à nos jeunes auteur.rices d’enrichir leurs écrits en donnant une voix directe à leurs personnages.

En conclusion, plonger dans l’univers littéraire de Marie-Francine Hébert, ce n’est pas simplement une lecture, c’est une invitation à s’interroger, à ressentir, et à découvrir la magie des mots. C’est s’aventurer dans un monde où les mots deviennent des fenêtres vers des réalités inconnues, des réflexions et parfois vers une simple douceur enveloppante.

Pour vous procurez l’oeuvre dont il est question dans l’article